C'est un des plus grands matchs de tous les temps. Je le couvrais pour La Presse. À l'époque, les matchs débutaient à 20h au Forum, mais pour l'occasion, pour permettre aux gens de célébrer le Jour de l'An, on avait prévu la rencontre entre l'Armée rouge et le Canadien à 19h.

«C'était très excitant pour nous parce que c'était la première fois que des clubs affrontaient des clubs de la Ligue nationale. Avant, c'était toujours l'équipe nationale de l'Union Soviétique qui disputait les rencontres. Cette fois, c'était l'Armée rouge contre le Canadien de Montréal, au Forum. Et le Forum, c'était le Kremlin du hockey», se rappelle Vladislav Tretiak, le plus célèbre gardien de but de l'histoire du hockey soviétique et russe. Le plus grand.

Et 1975, c'est trois ans après la Série du siècle. Autrement dit, l'URSS est encore l'Empire du mal et les communistes sont les ennemis à abattre. Le monde est divisé en deux blocs. L'Est et l'Ouest et la CIA et le KGB s'espionnent et se font des coups fourrés sur tous les fronts de la planète.

Il y a le Rideau de fer et le mur de Berlin et il n'y a que le hockey et la musique classique qui ont permis de percer de petites ouvertures dans la muraille qui sépare les deux mondes.

Les chroniqueurs de hockey de Montréal ne pouvaient parler aux joueurs soviétiques sans un interprète fourni par le KGB et s'ils se tissaient un lien quelconque avec un Tretiak ou un Petrov, c'est la GRC qui rappliquait pour vérifier ce qui se passait.

Quand je mangeais avec mon confrère Andréi Sandakov, de la Pravda, au Cherrier, il y avait un gars de la GRC qui faisait semblant de lire Montréal-Matin et un autre du KGB qui tétait une bière pendant toute l'heure.

Autrement dit, Vladislav Tretiak, officier de l'Armée rouge, était un ennemi.

Ce 31 décembre, les Guy Lafleur, Pete Mahovlich, Jacques Lemaire, Yvan Cournoyer, Robinson et tous les autres ont bombardé Tretiak de 38 tirs, la plupart dangereux. Pendant ce temps, Ken Dryden, souvent mal à l'aise devant les joueurs soviétiques, se faisait déjouer trois fois en 13 lancers et le match prenait fin par le score de 3-3.

Mais il s'était joué une grande symphonie sur la patinoire et à la fin, quand on a choisi les trois étoiles, Tretiak est venu rejoindre Mahovlich et Cournoyer et le Forum a littéralement explosé quand on a dit son nom. Une immense et chaleureuse ovation. «Mon coeur cognait fort. Je sentais le moment et je le savais historique. Les fans du Canadien étaient des fans spéciaux. Ils savaient apprécier le beau jeu d'un adversaire. Depuis, ils sont toujours restés dans mon coeur», a dit Tretiak lors de son dernier passage à Montréal, à la fin de novembre.

Ce soir-là, après le match, Tretiak et ses coéquipiers se sont rendus au consulat soviétique et y ont célébré le Jour de l'An. «À partir de l'âge de 17 ans, j'ai vécu 17 Jours de l'An consécutifs à l'étranger. Nous avions toujours un match quelque part dans le monde. C'était très dur pour un jeune homme d'être loin de sa famille le premier de l'An. Chez nous en Russie, le Jour de l'An, c'est la grande fête de l'année», s'est souvenu Tretiak.