Le 31 décembre 1975 au Forum de Montréal, le Canadien accueillait le club de l'Armée rouge dans le cadre de la Super Série 1976. La formation de Moscou était en Amérique du Nord afin d'affronter quatre des meilleures équipes de la LNH... dont le Canadien.

Cette Super Série a produit deux matchs mémorables, pour différentes raisons: un à Philadelphie face aux méchants Flyers, marqué par le comportement agressif - voire déplacé - des joueurs en orange et blanc, et l'autre au Forum, face à une formation montréalaise presque sans faille, qui était sur le point de créer sa propre dynastie.

Le match du 31 décembre 1975 a parfois été qualifié de match parfait. Au bout de 60 minutes, le Canadien et l'Armée rouge, peut-être les deux meilleurs clubs sur la planète à ce moment-là, ont conclu la rencontre avec une nulle de 3-3.

Pour remonter dans le temps, La Presse a contacté cinq joueurs du Canadien qui étaient sur la glace du Forum ce soir-là: le gardien Ken Dryden, les attaquants Yvon Lambert, Steve Shutt et Yvan Cournoyer, ainsi que le défenseur Serge Savard. Dryden, qui n'a pas l'habitude de discuter de hockey avec les médias depuis son entrée dans le monde de la politique, en a profité pour nous confier qu'il regrettait sa performance lors de ce fameux match.

Trente-cinq ans plus tard, les joueurs qui étaient là n'ont pas oublié ce match qui est depuis passé dans la légende. Revoici le fil des événements, en compagnie de ceux qui y étaient.

Première période

Ken Dryden: «Je me souviens de presque tout. Je me souviens de l'importance de ce match lors des jours qui l'ont précédé. C'était le premier grand affrontement contre un club soviétique depuis la Série du siècle (1972). Et c'était la meilleure équipe contre la meilleure équipe; même si les Flyers étaient les champions en titre, on croyait que la meilleure équipe de la Ligue nationale, c'était la nôtre. Alors c'était les meilleurs contre les meilleurs. Qu'allait-il arriver? C'est la question que tout le monde se posait.»

Yvon Lambert: «C'était comme si nous avions tout le pays derrière nous. C'était un match tellement attendu... C'était aussi une question de fierté, d'honneur. Il y avait tellement d'intensité, et ça a donné du hockey extraordinaire. C'est pour ça que le monde en parle encore.»

Steve Shutt: «Le club de l'Armée rouge avait choisi de faire de Montréal son quartier général pendant cette série. Alors on avait eu la chance de les voir s'entraîner à quelques reprises. C'était évident qu'ils avaient tout un club.»

Serge Savard: «Ce dont je me rappelle le plus, c'est la préparation de notre entraîneur Scotty Bowman. Je pense qu'on a commencé à se préparer une semaine avant le match. J'avais rarement vu un club aussi prêt. On a dû tenir trois ou quatre entraînements spécialement pour ce match-là. Scotty nous avait préparés comme une équipe de football, qui passe une semaine sur une seule rencontre.»

Ken Dryden: «Quelques jours avant, certains joueurs de l'équipe étaient allés chez Yvan Cournoyer pour voir à la télé le match de l'Armée rouge contre les Rangers à New York. On a bien vu qu'ils étaient bons. Je crois qu'ils ont battu les Rangers 9-3 ce soir-là (7-3, en fait). On était conscients de ce qui nous attendait.»

À 3:16 de la première période, Steve Shutt effectue une montée sur l'aile droite et bat le gardien Vladislav Tretiak d'un puissant tir frappé.

Steve Shutt: «Je suis arrivé à l'aile et j'ai lancé par-dessus sa mitaine. Il ne l'a pas oublié; encore aujourd'hui, quand il me voit, Tretiak fait un geste de sa main droite, comme s'il ratait la rondelle avec sa mitaine!»

À 7:25, Lambert marque du revers à la suite du retour d'un tir de Doug Risebrough. C'est le septième tir du Canadien... contre aucun pour l'Armée rouge.

Yvon Lambert: «J'étais devant le filet. Les gars venaient juste de me dire: «Va devant le gardien et garde ton bâton à terre, on va viser ton bâton». J'ai pris le rebond et j'ai marqué.»

À la fin de la première période, le Canadien mène 2-0.

Steve Shutt: «C'était très calme dans le vestiaire, on savait très bien que ce n'était pas fini. Ils n'allaient pas abandonner. Mais on savait aussi comment faire pour gagner. Scotty Bowman nous avait appris à ne penser qu'à notre prochaine présence sur la glace. C'était l'une de ses forces, il nous avait appris à ne pas regarder trop loin. Nous avions des objectifs simples, ça expliquait en partie notre succès.»

Serge Savard: «On ne pensait pas du tout que c'était fini. Au contraire! On les connaissait très bien. Contre eux, on ne pouvait pas s'endormir, pas même 30 secondes, sinon, la rondelle se retrouvait dans le filet. C'est un peu ce qui est arrivé sur le but de Kharlamov un peu plus tard dans le match.»

Deuxième période

À 3:54, Boris Mikhailov déjoue Ken Dryden d'un tir haut. Dryden fait l'arrêt partiellement... mais la rondelle roule derrière lui.

Steve Shutt: «Nous n'avons pas paniqué quand ils ont marqué leur premier but. Notre équipe était comme ça; on ne s'emportait jamais trop, et on ne se laissait jamais aller au découragement non plus.»

Yvan Cournoyer: «C'était spécial, l'ambiance était incroyable. D'abord, c'était la veille du jour de l'An, et tout le monde voulait savoir ce qui allait arriver. La dernière fois qu'on avait vu les Soviétiques au Forum en 1972, ils avaient gagné 7-3 contre Équipe Canada. Dans ce match-là, on avait aussi une avance de deux buts, mais les Soviétiques ne lâchaient jamais. On s'y attendait, ils étaient comme ça aussi en 1972.»

À 9:39, lors d'une attaque massive, Yvan Cournoyer saisit le retour d'un tir de Guy Lafleur, et bat Tretiak d'un bon tir des poignets pour faire 3-1 Canadien.

Yvan Cournoyer: «À mes yeux, on a gagné la partie. On avait tellement bien joué... Sans Tretiak, on aurait gagné facilement.»

Yvon Lambert: «Je pense que j'aurais pu marquer trois fois ce soir-là si Tretiak n'avait pas été aussi bon. Il a fait deux arrêts incroyables à mes dépens.»

À 16:21, Valeri Kharlamov traverse la défense du Canadien et bat Dryden d'un tir du revers au ras la glace. C'est seulement le septième tir de l'Armée rouge depuis le début du match.

Serge Savard: «Les Soviétiques ne lançaient pas souvent, mais ils ne lançaient pas pour rien.»

Steve Shutt: «À cette époque dans la LNH, les ailiers se contentaient d'aller en ligne droite et de revenir dans le même corridor par la suite. Pas les joueurs soviétiques. Eux, ils allaient d'un bord à l'autre de la glace.»

Troisième période

En début de période, le Canadien obtient un avantage numérique à cinq contre quatre, mais Vladislav Tretiak enchaîne les petits miracles devant son filet, en faisant quatre arrêts du tonnerre.

Yvon Lambert: «La clé de ce match-là, c'est Tretiak. On était tellement bien préparés qu'on les a dominés au chapitre des tirs. Ken (Dryden) a été blâmé, mais il a fait les arrêts qu'il fallait. Les Soviétiques ne lançaient pas, ils aimaient mieux conserver la rondelle.»

Steve Shutt: «Tretiak était un gardien très frustrant. On avait déclassé les Soviétiques, on aurait pu marquer six ou sept buts dans ce match-là. Il a joué de formidable façon.»

Yvon Lambert: «Les gars de notre équipe qui étaient là en 1972 (à la Série du siècle) nous avaient avertis: il fallait être bien préparés contre les Soviétiques. On voulait tellement gagner et donner un bon spectacle. On les a dominés et si ça n'avait pas été de Tretiak, on aurait gagné.»

À 4:04, l'Armée rouge égalise la marque sur un deux contre un, avec Boris Alexandrov qui déjoue Dryden d'un tir qui échappe au gardien. Quelques minutes plus tard, une partie de la foule se moque de Dryden à la suite d'un arrêt de routine.

Ken Dryden: «Nous avions été très bons ce soir-là. Mais je me souviens aussi que je n'avais pas été très bon. Je n'ai pas joué à mon mieux, et ce match, c'est l'un de mes grands regrets; quand un match est de cette qualité, on n'a pas le droit de ne pas jouer à ce niveau-là.»

Steve Shutt: «Kenny était un gardien de grande taille et il n'était pas le plus agile. Il était habitué à défier les tireurs parce qu'il couvrait bien le but avec sa taille, mais les Soviétiques ne jouaient pas comme les gars de la Ligue nationale, qui lançaient tout le temps. Les Soviétiques ne lançaient pas, ils aimaient mieux passer la rondelle à l'autre ailier. Et cet ailier tirait souvent dans un filet vide parce que le gardien s'était compromis.»

Serge Savard: «Je ne blâme personne, mais Ken Dryden n'a pas connu sa plus grande soirée. Pour une raison que je ne connais pas, il n'a jamais eu beaucoup de succès contre les Soviétiques.»

À 5:49 de la fin du match, le Canadien passe à deux doigts du désastre quand Vladimir Popov, de l'enclave, tente un tir qui surprend Dryden... mais qui touche le poteau à la gauche du gardien.

Steve Shutt: «Peu de gens s'en souviennent, mais les Soviétiques ont presque gagné ce match à la toute fin. Ils ont effectué une belle montée, et un de leurs tirs a frappé le poteau! Ils auraient pu gagner.»

Avec un peu plus d'une minute à faire, Tretiak vole Jacques Lemaire à deux reprises, coup sur coup. Quelques secondes plus tard, à l'autre bout, Boris Mikhailov lève les deux bras vers le ciel, croyant avoir marqué alors que la foule hurle et que Dryden regarde derrière lui.

Ken Dryden: «Je me souviens d'avoir regardé nos joueurs, combien ils étaient bons ce soir-là. Surtout Jacques Lemaire, qui était partout à la fois sur la glace. Il a été à son meilleur ce soir-là, un joueur complet.»

Steve Shutt: «Je pense qu'on a très bien joué et je ne sais pas si les Soviétiques ont si bien joué. Nous les avons déclassés.»

À la sirène finale, il n'y a pas de gagnant. Le match se termine par un pointage de 3-3, mais ce dont tout le monde parle, c'est le nombre de tirs: 38-13 en faveur du Canadien.

Ken Dryden: «Ce fut un grand match, la meilleure partie dans laquelle j'ai été impliqué. Ce fut aussi bon qu'on le dit.»

Serge Savard: «C'est l'un des bons matchs de l'histoire du hockey. C'était les meilleurs contre les meilleurs. Ils ont joué contre Philadelphie ensuite, il y a eu des scènes de violence. Le hockey, ce n'est pas ça. Je ne pense pas que l'histoire a retenu leur match contre les Flyers. L'histoire a retenu ce match nul de 3-3. Au hockey, il n'y a pas de partie parfaite comme au baseball. Mais en langage de hockey, oui, ce fut une partie parfaite.»