Taekwondo Canada est sur la sellette. Sport Canada et «À nous le podium», deux de ses principaux bailleurs de fonds, ont coupé les vivres. À deux ans des Jeux olympiques de Londres, l'inquiétude règne dans le milieu.

À deux ans des Jeux olympiques de Londres, Taekwondo Canada est aux prises avec de sérieux problèmes organisationnels et sportifs. À tel point que Sport Canada et le programme d'excellence À nous le podium (ANP) ont suspendu le financement de la fédération.

La direction d'ANP explique son retrait par «divers reculs», des «problèmes de longue date» et le non-respect d'une entente préalable. «Ce fut une décision très difficile», a indiqué la directrice des sports d'été d'ANP, Anne Merklinger, en entrevue téléphonique. D'autant que le taekwondo a été identifié comme l'un des sports susceptibles de contribuer à la récolte canadienne à Londres par ANP, qui avait réservé une enveloppe de 500 000 $ pour l'association.

Une semaine après le retrait d'ANP, en mars dernier, Sport Canada suspendait à son tour son financement. Dans une lettre envoyée au président de l'Association canadienne de taekwondo, Sean Fitzgerald, la direction de Sport Canada rappellait les nombreuses difficultés de Taekwondo Canada. Vérifications spéciales, retenues de fonds, mesures et restrictions spéciales ont été le lot de l'organisation au cours des dernières années.

Presque trois mois plus tard, Taekwondo Canada n'a toujours pas reçu son argent. «L'organisme a répondu aux questions de Sport Canada et a fourni des preuves indiquant qu'il prend des mesures pour régler certaines difficultés signalées», a cependant précisé une porte-parole de Patrimoine Canada dans un courriel. «Sport Canada a récemment indiqué qu'il était disposé à réactiver le financement et qu'il envisageait de débloquer les fonds destinés à Taekwondo Canada, sous réserve que l'organisme continue de faire preuve de diligence, poursuive son examen et maintienne son engagement à régler les problèmes soumis à son attention. Sport Canada revoit actuellement les documents soumis par Taekwondo Canada et espère être en mesure de débloquer les fonds sous peu.»

Il n'a pas été possible de parler directement à un dirigeant de Sport Canada.

Autre camouflet, le mois dernier, Taekwondo Canada a été exclu d'un important atelier de préparation du Comité olympique canadien en vue des Jeux de Londres.

Inévitable

Si les fonds de Sport Canada pourront éventuellement être récupérés, ce ne sera pas le cas pour le demi-million d'À nous le podium. Avant le début du cycle olympique, Taekwondo Canada (TC) avait été ciblée comme l'une des fédérations susceptibles de contribuer à la récolte canadienne à Londres. À ce titre, TC avait reçu 432 000 $ d'À nous le podium l'an dernier. Or, mesure exceptionnelle, TC avait dû s'engager à respecter des critères spécifiques dans la création et l'administration d'un programme de haute performance. Un groupe de gestion intérimaire avait même été mis sur pied afin d'y parvenir. Sport Canada et ANP y étaient représentés.

Selon ANP, plusieurs termes de l'entente n'ont pas été respectés. Par exemple, la sélection des athlètes et entraîneurs pour les compétitions internationales devait relever de ce comité haute performance, ce qui n'a pas été le cas. Autre bris de l'entente: un directeur de la haute performance a été engagé grâce à l'argent ANP, mais il a été congédié sans que le comité intérimaire n'ait été consulté. Il y aurait aussi eu de l'«ingérence» dans le processus d'attribution des brevets aux athlètes.

Anne Merklinger dit que son organisation a dépensé, en vain, beaucoup de temps, d'énergie et de ressources pour aplanir les difficultés. Le retrait de financement est une mesure draconienne, mais inévitable, croit-elle: «On avait vraiment le sentiment qu'on n'avait pas le choix.»

Au bureau de Taekwondo Canada à Ottawa, personne ne pouvait répondre à nos questions. Après deux semaines de tentatives infructueuses pour organiser une entrevue, le président Fitzgerald n'était pas disponible hier.

Consternation

À titre de représentant des athlètes pour Taekwondo Canada en 2009-10, Olivier Pineau a suivi le dossier de près. Il croyait son sport sur la bonne voie. Aujourd'hui, il est abattu. «Je suis affligé et consterné quand je constate ce qui est en train de se produire au niveau national et à quel point ça peut affecter les chances d'avenir de nos athlètes, qui sont dévoués et prometteurs», a dit Pineau, qui est aussi directeur général de Taekwondo Québec.

Le Québec est une véritable pépinière pour ce sport apparu au programme officiel des Jeux olympiques à Sydney, en 2000. Ce n'est pas un hasard si le taekwondo sera intégré au nouvel Institut national du sport du Québec au Stade olympique.

Dans le milieu, on marche sur des oeufs par crainte de représailles de la part des dirigeants canadiens. Mais le désenchantement est bien réel. L'argent d'ANP aurait permis de soutenir une dizaine d'athlètes et leur encadrement.

«Avec À nous le podium, on avait une structure qui ressemblait à une équipe nationale, comme on en voit en Allemagne, au Mexique, aux États-Unis ou en Corée, a résumé un intervenant au fait du dossier. Au lieu de ça, l'athlète va devoir mettre la main dans ses poches et aller à d'autres sources pour continuer.»

Tout n'est cependant pas perdu. Façon de contourner Taekwondo Canada, À nous le podium a en effet soumis le nom de trois taekwondoïstes qui pourraient recevoir une aide sur une base individuelle parce qu'ils font déjà partie des quatre meilleurs au monde. Il s'agit de la vice-championne olympique Karine Sergerie, du vice-champion mondial Maxime Potvin et de Sébastien Michaud, médaillé de bronze aux derniers Mondiaux. Leur nom doit d'abord être approuvé par le comité directeur d'À nous le podium, qui se réunira plus tard ce mois-ci. Anne Merklinger évalue la valeur de l'aide possible à 200 000 $.

À titre de président de Taekwondo Québec, Jean Faucher siège au conseil d'admnistration de Taekwondo Canada. Il attribue les récents problèmes à l'attitude rigide de deux membres du comité exécutif, le président Fitzgerald et maître Simon Chung, secrétaire général. «Ils se disaient: ils veulent voler notre sport, a expliqué M. Faucher en entrevue. Mais les gens d'À nous le podium ne veulent pas voler notre sport. Ils veulent nous donner un coup de main pour l'améliorer.»

Jean Faucher soulève aussi une certaine confusion entre le «sport» et «l'art martial»: «L'art martial, ce sont les maîtres, et eux veulent garder le contrôle. Mais présentement, aux Jeux olympiques, c'est le sport et non pas l'art martial.»

La prochaine réunion du conseil d'administration est prévue le 4 juillet à Toronto, au lendemain d'une importante sélection nationale. M. Faucher s'attend à ce que ça «brasse» et sent une volonté de changement chez les représentants des autres provinces. Il se «croise les doigts» et garde espoir qu'un nouveau comité exécutif sera mis en place en septembre prochain.