Les frères Molson auraient difficilement pu trouver meilleure façon de marquer de manière indélébile le début de leur règne. Le retrait du chandail d'Émile Bouchard démontre que les nouveaux propriétaires du Canadien de Montréal sont à l'écoute des partisans de l'équipe.

Cela fait des années que les amateurs réclament à grands cris que l'ancien numéro 3 soit honoré comme ses illustres coéquipiers, les Richard, Béliveau, Moore, Geoffrion, Harvey et Plante. Et comme Elmer Lach, bien sûr, qui a vu son numéro 16 joindre celui d'Henri Richard dans les hauteurs du Centre Bell, hier soir.

Geoffrey Molson avait déjà donné un signal clair de ce qui s'en venait, lors du tournoi de golf de l'équipe, en septembre. «Dès que nous serons propriétaires, nous allons nous pencher sur le dossier pour mieux comprendre ce que nous ferons pour passer à la prochaine étape», avait-il dit.

C'est une marque de respect nécessaire envers M. Bouchard, un colosse immensément populaire en son temps qui fut capitaine du Tricolore de 1948 à 1956. Le Canadien répare une injustice envers le «Roc de Gibraltar», un joueur courageux qui a été une source d'inspiration pour les Québécois francophones de son époque.

C'est aussi, évidemment, un virage à 180 degrés par rapport à la politique qu'a longtemps maintenue l'organisation à l'époque où George Gillett en était le propriétaire.

Chapeau.

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Il y a eu de beaux moments dans cette soirée du centenaire, même si la foule du Centre Bell, qui s'est incroyablement rajeunie ces dernières années, m'a semblé bien amorphe par moments devant ce défilé de légendes.

Envoyer les anciennes gloires du club s'échauffer sur la patinoire était un flash brillant. L'hommage de Viggo Mortensen à Guy Lafleur, livré dans un français parfait, était un cri du coeur d'un homme profondément attaché au CH. Et Patrick Roy en a sûrement fait rêver plus d'un quand il a affirmé que les anciens «rêveraient d'être sur la patinoire devant vous pour aller chercher une victoire contre les Bruins».

Il faut croire que Roy a inspiré les hommes de Jacques Martin, méconnaissables hier par rapport à l'équipe sans émotion qui venait de perdre quatre matchs de suite. Menés par Mike Cammalleri - digne héritier des joueurs qui ont fait la grandeur du Bleu-Blanc-Rouge, celui-là - et Carey Price, le Canadien a passé les Bruins dans le tordeur comme ce n'est pas permis.

C'était un beau dernier hommage au centenaire. Mais il était temps que les célébrations finissent. Quand c'est rendu qu'on présente Patrick Poulin, Brent Gilchrist et Karl Dykhuis (entre autres) comme «d'autres grands joueurs du Canadien», c'est qu'on a vraiment fait le tour. « Certains pays ont trop d'histoire», a dit un jour l'ancien premier ministre Mackenzie King (qui trouvait plutôt que le Canada avait trop de géographie). Il aurait tout aussi bien pu parler du Canadien de Montréal.

Depuis un an, dans un long, très long crescendo, on a ressassé, disséqué, analysé et célébré le passé du club le plus titré de la Ligue nationale de hockey.

Au fil des mois, rien n'a été oublié, dans un déluge d'images sépia: les 24 conquêtes de la Coupe Stanley, les yeux du Rocket, le masque de Jacques Plante, la classe de Jean Béliveau, les exploits du Démon blond, les miracles de saint Patrick... Alouette, serais-je tenté d'ajouter, si je ne craignais pas de tourner le fer dans la plaie des partisans du Tricolore, qui aimeraient bien que leur équipe renoue, comme les Oiseaux dimanche dernier, avec sa gloire d'antan.

De retraits de chandails en inaugurations de monuments, l'année du centenaire a été un interminable bain de nostalgie. Elle nous a permis de mesurer une fois de plus, comme si c'était nécessaire, l'attachement viscéral des Montréalais, des Québécois et de bien des Canadiens à leur club, rare point de convergence entre anglophones et francophones, entre jeunes et vieux, entre riches et pauvres.

Le problème, c'est qu'il y a un petit moment déjà que l'eau du bain s'est refroidie: on a beau se complaire dans les succès d'autrefois, vient un moment où la dure réalité du présent nous rattrape. Vient un moment où les chandails rétro, les coffrets DVD des plus grands matchs et les G-strings tatoués du logo du CH ne parviennent plus à nous distraire de la médiocrité dont se satisfait trop souvent l'équipe bâtie, débâtie et rebâtie par Bob Gainey.

C'est vrai, il était autrement plus facile de gagner à l'époque des six clubs. Sam Pollock, paix à son âme, ne serait peut-être plus capable aujourd'hui de réussir les tours de passe-passe dont il avait le secret. Mais quand même. Une équipe comme le Canadien ne devrait pas se satisfaire de surnager en milieu de classement - ou pire, comme c'est le cas présentement, de végéter en queue de peloton.

De voir les Lafleur, Béliveau, Dryden, Richard sur la glace du Centre Bell, hier soir, tous ces joueurs extraordinaires qui ont fait vibrer une ville, une province et un pays, était un puissant rappel du privilège qu'ont longtemps eu les partisans du Canadien: celui d'encourager la meilleure équipe au monde. Si les joueurs actuels peuvent continuer à s'en inspirer comme ils l'ont fait hier soir, Montréal pourra peut-être un jour se remettre à rêver.