Dominique Wavre (Temenos) a prévenu vendredi vers 15h20 le Q.G. course que la tête de quille de son monocoque avait cassé. Le marin est sain et sauf et fait route actuellement, à voilure très réduite, vers le nord-est.

La tête de quille est une partie de la quille située à l'intérieur du bateau. Elle est reliée à deux vérins hydrauliques qui permettent d'anguler la quille d'un côté ou de l'autre du bateau.

Dès que la tête de quille est cassée, le voile et le bulbe d'environ 3 tonnes qui la prolonge ne sont plus maintenus en position fixe. Dans des creux de six mètres et une mer croisée, le skipper suisse est conscient du danger de perdre sa quille ou que celle-ci, dans des mouvements désormais incontrôlables, puisse endommager la coque.

C'est pourquoi Dominique Wavre et son équipe envisagent tous les scénarios possibles, dont celui de carrément abandonner le monocoque 60 pieds. Ce n'est pas le cas pour l'instant et Wavre, à la suite de l'affalement de ses voiles, tente de se diriger à vitesse réduite vers le nord-est, en direction des Kerguelen et de l'Australie.

En ce qui à trait à la course même, les îles de la désolation maintenant passées, c'est sous bon vent (moyenne de 30 noeuds) que les meneurs du Vendée Globe s'orientent vers l'Australie et la prochaine porte des glaces. Sous influence d'un système météo différent, la queue de course, dont le Canadien Derek Hatfield (Spirit of Canada), est soumise à la plus violente tempête australe depuis le début de la course.

Titouan Lamazou, premier vainqueur du Vendée Globe en 1989, avait décrit le Grand sud comme étant le pays de l'ombre. L'univers gris et désolé de ces mers, à des milliers de kilomètres de toute terre habitée, tourne tel un grand manège de vent, de tempêtes et de vagues qui inspirent crainte et fascination aux marins. Bien qu'il soit possible d'observer des conditions de vent comparables à plusieurs endroits sur le globe, la houle et la vague ne trouvent pas leur pareil en ces mers qui ne sont pas faites pour l'humain.

En fait, pour tenter de vous donner une idée de la chose, sachez que le nombre d'heures d'ensoleillement moyen sur l'île Heard (près des Kerguelen) est d'une heure par jour à longueur d'année et que les données accumulées par le service météo hollandais entre 1970 et 2000 démontrent que la hauteur moyenne des vagues en tout temps de l'année est de 4 mètres...

Admettons que ce n'est pas le Lac des Deux-Montagnes...

Si pour les meneurs les conditions météo demeurent stables dans les prochains jours avec des vents à 30 noeuds de moyenne (60km/h), les retardataires ne verront que leurs conditions s'empirer d'heure en heure. En effet, Norbert Sedlacek (Nauticsport), Raphaël Dinelli (Océan Vital) et Derek Hatfield qui subissent présentement la colère du Grand sud dans des conditions difficiles verront ces conditions passer à l'extrême. Justement celles que les marins craignent.

Ces skippers navigueront sur une mer totalement chaotique, avec creux de vagues jusqu'à 12 mètres dans un vent moyen qui frisera les 50 noeuds et des rafales prévues jusqu'à 75 noeuds, voire 80 (150 km/h). Voilà la tempête australe telle que décrite dans les livres.

Hatfield vivait déjà un épisode bien difficile hier (voir article précédent) et aujourd'hui c'est Norbert Sedlacek qui décrivait la situation en ces mots:

« Aujourd'hui, vers 6h UTC, dans une rafale très forte, mon étai avant a cassé. J'ai pu récupérer le génois. Le gréement est intact. Il y a très mauvais temps. Le vent vient du nord-nord-ouest avec 6-7 Beaufort, mais les rafales font 9-10 Beaufort. Maintenant, il y a des phases de surf avec 22 noeuds dans une mer vraiment difficile. PS : Si le mauvais temps persiste, peut être que je ne répondrai pas au téléphone satellite... »

Du côté de la tête de flotte, les skippers tiennent un discours bien différent.

Jean-Pierre Dick (Virbac Paprec), meneur de la course en ce 33e jour, devance maintenant Mike Golding (Ecover) et Roland Jourdain (Veolia) par 49 et 51 milles nautiques respectivement.

Dick naviguait ce matin sur une mer formée en glissant sur l'eau à 19 noeuds et décrivait un paysage majestueux alors que le soleil est apparu quelques heures laissant voir le bleu unique de la houle et des vagues avec comme compagnons de voyage des centaines d'oiseaux derrière Veolia. Ses mots ce matin étaient fort simples:

«C'est un superbe paysage qu'il n'est tout simplement pas possible de voir ailleurs», expliquait-il.

Il ne faudrait vraiment pas oublier l'Anglais Mike Golding (Ecover) comme très sérieux prétendant à la couronne de ce Vendée. De tous les marins en course, il est celui qui a la réputation d'être le plus rapide et agressif dans les mers du sud. Golding en est à son troisième Vendée Globe et a déjà fait un tour du monde en sens inverse (contre le vent et la vague) et connait très bien l'endroit. Il détient d'ailleurs le record de l'épreuve pour la traversée la plus rapide de l'Océan indien et du Pacifique dans ces latitudes ayant fait la distance en 30 jours de la dernière édition de l'épreuve.

L'ami Mike possède un excellent bateau et a toutes les chances et le talent nécessaire pour mener une chaude lutte à quiconque sur ce tour du monde en solitaire

Fait plutôt rare, Michel Desjoyeaux (Foncia) avouait avoir trop dormi la nuit dernière, ce qui l'a fait dévier de sa trajectoire prévue et perdre deux positions au classement. Maintenant à 54 milles nautiques de Jean-Pierre Dick, Desjoyeaux s'est offert un roupillon de 3 heures cette nuit, ce qui en terme de course en solitaire équivaut à sortir du lit à midi!

Desjoyeaux, accompagné de Jean Le Cam (VM Matériau) et de Sébastien Josse (BT), a choisi un routage qui rase le plateau continental des Kerguelen et qui le positionne favorablement pour un meilleur passage de la prochaine porte des glaces. C'est une approche de chasse pour laquelle Jean-Pierre Dick n'a qu'à bien se tenir puisque les 3 copains ont le couteau entre les dents et croyez-moi n'entendent pas à rire...

Il ne faut jamais oublier que derrière des images de bons vivants, tous les skippers de ce Vendée Globe cachent un petit côté assassin du genre «regarde bien derrière l'ami, j'arrive...»

A priori, les deux jours à venir vont être une course de vitesse pure dans un flux soutenu de nord-ouest et le groupe de tête devrait aligner ses meilleures distances parcourues en 24 heures depuis le départ des Sables d'Olonne le 9 novembre dernier.

Les ouvertures météo qui semblaient vouloir se matérialiser pour le groupe de tête et permettre des stratégies différentes se sont refermées. Le groupe tissé très serré ne sera pas en mesure de jouer de coups météo avant l'Australie... la guerre des nerfs persiste et signe...

Rejoint ce matin par le Q.G. course à Paris, Loïck Peyron fait toujours route au nord sous gréement de fortune. Après réflexion et discussion avec son équipe, le routage d'urgence de Peyron se résumera maintenant à deux options. Son équipe tente de faire des arrangements avec un armateur sud-africain pour un remorquage et si cette solution venait à ne pas être concluante, la direction de l'Australie vers Perth serait de mise à cause des vents dominants.

>>> Suivez la position des skippers

 

Les positions + retard sur le 1er (milles nautiques)

1- Jean-Pierre Dick-FRA (Paprec-Virbac)

2- Mike Golding-GB (Ecover), 49

3- Roland Jourdain-FRA (Veolia Environnement), 51

4- Michel Desjoyeaux-FRA (Foncia), 54

5- Sébastien Josse -FRA (BT) 95

6- Jean Le Cam-FRA (VM Matériaux), 114

7- Vincent Riou-FRA (PRB), 183

8- Armel Le Cléac'h-FRA (Brit Air), 200

9- Marc Guillemot-FRA (Safran), 270

10- Yann Eliès-FRA (Generali), 279

11- Dominique Wavre-SUI (Temenos), 282

12- Brian Thompson-GB (Team Pindar), 642

13- Bernard Stamm-SUI (Cheminée Poujoulat), 653

14- Samantha Davies-GB (Roxy), 735

15- Dee Caffari-GB (Aviva), 967

16- Arnaud Boissières-FR (Akena Verandas), 990

17- Steve White-GB (Toe in Water), 1282

18- Jonny Malbon-GB (Artemis), 1429

19- Rich Wilson-USA (Great American), 1596

20- Jean-Baptiste Dejeantly-FRA (Maisonneuve), 1699

21- Derek Hatfield-CAN (Spirit of Canada), 2117

22- Raphaël Dinelli-FRA (Océan Vital), 2550

23- Norbert Sedlacek-AUT (Nauticsport), 2576

24- Loïc Peyron-FRA (Gitana Eighty), Abandon, Démâtage

25- Una Basurko-ESP (Pakea Bizkaia), idem, bris au puits de safran tribord

26- Jérémie Beyou-FRA (Delta Dore), idem, barre de flèche cassée

27- Alex Thompson-GB (Hugo Boss), idem, dommages structurels

28- Kito de Pavent-FRA (Groupe Bel), idem, Démâtage

29- Marc Thiercelin-FRA (DCNS), idem, Démâtage

30- Yannick Bestaven-FRA (Aquarelle.com), idem, Démâtage