Le téléphone de l'avocat Li Fangping a sonné mardi matin. C'étaient les policiers. Prévenants, ils l'ont informé que, à compter du lendemain, il serait suivi.

Son «crime»: avoir représenté des défenseurs des droits de l'homme en Chine et parlé à des journalistes étrangers. Le pouvoir chinois n'aime pas la mauvaise publicité, surtout à la veille des Jeux olympiques. L'entrevue que Li Fangping a accordée à La Presse mardi après-midi sera donc vraisemblablement la dernière qu'il donnera d'ici à la fin des JO.

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À 34 ans, petites lunettes au bout du nez et mince comme on peut imaginer les Chinois, Li Fangping a l'habitude de vivre en présence des policiers. Quand il a accepté de défendre le dissident chinois Hu Jia, il a eu les flics aux trousses pendant 21 jours.

Le procès s'est terminé au printemps par une peine de prison de trois ans et demi pour Hu Jia, un des nouveaux symboles de la résistance chinoise. Tellement que Paris, qui a vraiment le don de faire enrager Pékin, l'a nommé citoyen, au même titre que le dalaï-lama.

Posé, Fangping ne fait pas de grandes sorties révolutionnaires pour renverser le régime de Pékin. Il parle plutôt de la «responsabilité sociale» qu'il avait de défendre Hu Jia. «Si Hu Jia n'a pas d'avocat, la situation va se détériorer», dit-il.

Pour l'entrevue, il avait amené avec lui deux collègues. Eux aussi connaissent bien la police et s'attendent à revoir les hommes en képi à leur porte d'ici à ce que commencent les Jeux olympiques.

Jiang Tianyong en a déjà compté cinq sur ses traces. «J'ai appris à vivre avec eux, dit-il, philosophe. Je suis protégé comme les présidents!»

Son collègue Li Xiongbing a trouvé cela moins drôle au printemps. Il fait partie d'un groupe de 18 avocats qui voulaient défendre les Tibétains accusés d'être à l'origine des manifestations de mars au Tibet. Pékin les en a empêchés. «On a voulu me faire peur», dit-il.

Comment? Chaque année, il doit renouveler son permis d'avocat. Habituellement, c'est une formalité. Mais cette année, le permis est arrivé à la toute fin de la période de validité du précédent, à la fin du mois de mai. Un de ses collègues a reçu le sien à la mi-juin, ce qui signifie des clients en moins et une perte de revenus. D'autres collègues attendent toujours leur permis, raconte-t-il.

Rapport critique d'Amnistie

Cette semaine, Amnistie internationale a publié un rapport très critique - et comme d'habitude dénoncé par Pékin - sur la répression en Chine. Selon l'organisation, les autorités chinoises n'ont pas amélioré la situation des droits de l'homme, contrairement à la promesse qu'elles avaient faite lorsqu'elles ont obtenu les Jeux, en 2001. «À moins que les autorités ne changent rapidement de direction, le legs des Jeux olympiques ne sera pas positif pour les droits de l'homme en Chine», souligne Amnistie dans son rapport publié à Hong Kong.

Au téléphone, Roseann Rife, directrice adjointe pour l'Asie-Pacifique, souligne quatre points sur lesquels son groupe s'est penché: le harcèlement dont sont victimes les défenseurs des droits de l'homme; les «détentions administratives arbitraires»; la censure sur l'internet (dont est victime Amnistie en Chine continentale) et les menaces faites aux journalistes; et, enfin, le nombre d'exécutions.

Sur ce dernier point, elle note «un premier pas dans la bonne direction»: le fait que la Cour suprême de Chine ait décidé de revoir tous les cas de condamnés à mort.

L'an dernier, Amnistie a compté environ 1500 exécutions, soit plus de quatre par jour. Mais il y en aurait beaucoup plus, selon elle.

Durcissement du régime

L'avocat Li Fangping constate un durcissement du régime face aux militants des droits de l'homme depuis la fin de 2006. Lui et ses collègues pourraient être découragés, revanchards, mais ce n'est pas l'image qu'ils projettent avec leur air d'hommes raisonnables.

En fait, ils donnent même l'impression d'être optimistes. "En général, les citoyens chinois souhaitent de plus en plus le respect des droits de l'homme. C'est une tendance en Chine", explique Li Fangping.

Son analyse repose sur un autre élément: la corruption de nombreux dirigeants chinois. "Ce qui est très important pour le gouvernement, ce n'est plus l'idéologie. C'est l'intérêt économique." Autrement dit, certains dirigeants pourraient laisser parler davantage les citoyens, tant que leur portefeuille sera bien rempli.

Et lui, pour remplir le sien, il pratique aussi le droit commercial.

"Si je ne faisais que des cas de droits de l'homme, je deviendrais la cible du gouvernement, dit-il.

- Mais vous l'êtes déjà un peu, non?

- Oui, on peut dire ça. Mais si je limitais ma pratique aux droits de l'homme, je deviendrais alors un vrai problème pour le gouvernement."

Un rapide coup de fil mercredi midi a permis de confirmer qu'il en est déjà un. Les policiers chinois ont tenu parole. Ils sont trois à s'occuper de lui.