Paraît qu'il y a 400 millions de Chinois qui s'intéressent au basket. Plus que toute la population des États-Unis (150 millions y jouent!).

J'en ai rencontré quelques-uns hier, dans un centre commercial voisin du village des médias, où je suis allé faire un peu d'épicerie. Je leur faisais deviner le pointage du match qui allait se dérouler en soirée; pas un n'envisageait une victoire de la Chine. Sont pas fous. La Chine a deux grands joueurs, Yao et Yi (Ming et Jianlian), mais ils n'ont pas encore d'équipe.

D'après ce qu'on a vu hier soir, les Américains non plus n'ont pas encore d'équipe - ce que j'appelle une équipe. Ils l'ont emporté facile 101-70, mais ce ne fut pas un grand match de basket.

Un grand événement, par contre. Le premier à faire vibrer Pékin depuis la cérémonie d'ouverture. Il y avait tout ce qu'il faut. Il y avait l'attente. Il y avait le héros absolu, Yao. Il y avait l'ennemi haï, l'Amérique. Haï et en même temps admiré, désiré.

Ne s'attendant pas à une victoire, les Chinois ont été comblés. Leurs joueurs n'ont pas été humiliés. Juste débordés. Surtout pris de vitesse. Leurs pivots ne faisaient pas le poids. Yao s'est fait niaiser toute la soirée par Wade (19 points), qui n'est même pas du cinq de départ.

Yao, justement, qui est loin d'être un nono, avait averti ses compatriotes: on ne touchera pas au ballon. Il ne l'a pas dit exactement comme ça, mais c'est ce que ça voulait dire. Les Chinois ne se seraient probablement pas qualifiés s'ils n'étaient pas le pays hôte. Ils ne passeront pas au tour suivant. Dans leur groupe, ils vont encore se faire planter par les Grecs, par l'Espagne, par l'Allemagne.

Mais, hier soir, c'était leur quart d'heure de gloire. Yao contre Kobe. Yi contre Lebron James. Ils en rêvaient comme des ti-culs de basket de rue qui verraient passer Kobe Bryant: Tu viens jouer avec nous? Et il irait.

La seul crainte des Chinois était que les Américains les humilient. Vous savez comment ils sont, avec leurs singeries, cette façon de dunker en ajoutant de la moutarde. Carmelo Anthony, par exemple. Sauf Carmelo, les autres ont été bien polis. Lebron James n'a pas intimidé comme il aime le faire. Kobe est resté bien tranquille. On devinait qu'ils s'étaient fait dire de ne pas faire honte au président Bush, qui était dans les gradins. Ça fait mal un peu, 101-70, mais pas au point de perdre la face. Les Chinois sont allés se coucher heureux.

Les Américains, par contre, devraient être inquiets. Ce qu'ils ont montré n'a rien de très rassurant. Beaucoup de maladresse dans les tirs, un tout petit Kobe Bryant, un Jason Kidd inexistant et Chris Paul, qui l'a remplacé, pas beaucoup mieux.

Cela fait huit ans que les Américains n'ont rien gagné au basketball, sur la scène mondiale. Depuis leur médaille d'or aux Jeux de Sydney. Battue à Athènes par les Argentins, rebattue au Championnat du monde en 2006 par les Grecs, battue par l'Espagne, battue par la Serbie, l'équipe américaine est devenue un paillasson. Depuis huit ans, tout le monde s'essuie les pieds dessus.

Pourtant, le basket de la NBÀ reste le meilleur du monde. Le problème, c'est que les joueurs américains sont aussi les plus cons du monde. En tout cas, les plus arrogants, ce qui revient au même.

Pas hier soir. Pas arrogants, hier soir. C'est le seul changement positif. Pour ce qui est du basket, s'ils restent aussi maladroits dans les tirs de loin, ils ne feront jamais ouvrir les défensives de l'Espagne et de la Grèce. Hier soir, les Chinois se sont fait déculotter 20 fois en contre-attaque; ça n'arrivera pas contre l'Espagne.

Mais puisque vous me le demandez, je crois quand même que les Américains vont gagner ce tournoi.

Pourquoi? Parce que Jason Kidd et Chris Paul. Même s'il a mal joué hier soir, Kidd va tout changer dans le vestiaire. Il va apporter à cette équipe ce qui lui fait défaut depuis huit ans: un esprit. Quant à Paul, qui joue au même poste que Kidd, il est à mon avis le meneur de jeu le plus intelligent de la NBA.

L'autre grand changement, c'est que Mike Krzyzewski -coach K- a fait signer aux 12 sélectionnés un engagement de trois ans. C'est pas juste une petite balade à Pékin. Objectif: remettre le basketball américain à sa vraie place, la première. Ça commençait hier soir contre les Chinois. Ça n'a pas été très probant, c'est vrai. On s'en reparle contre les Espagnols.

Comment le sport est venu aux Chinois

Évidemment, Mao n'aimait pas le sport d'élite. Il disait: l'amitié d'abord, la compétition ensuite. Une formule qui plaît toujours beaucoup aux matantes, mais qui ne donne pas, généralement, de très bons coureurs de 400.

C'est par le volleyball féminin que la Chine s'est convertie au sport d'élite. C'est tout récent - une quarantaine d'années à peine. Dans les premières années de l'«ouverture» après la mort de Mao -par la grâce d'un coach-, l'équipe féminine de volleyball chinoise est devenue championne olympique. C'était dans les années 80. Je me souviens d'un Pékin complètement désert en 1981 pour une finale de Championnat du monde de volleyball que les gens écoutaient à la radio -je me souviens de la foule joyeuse qui avait envahi les rues de Pékin sitôt la victoire acquise.

Bref, la Chine a découvert après tout le monde que les grands exploits sportifs servent les nations mieux encore que les victoires militaires.

En se donnant les moyens de former les athlètes qu'elle va chercher dans son inépuisable réservoir humain, la Chine est devenue ou sera bientôt la plus grande nation sportive du monde. Cela relève de la mathématique, et peut-être un peu aussi de la soupe à la tortue. Mais pas plus qu'ailleurs, la soupe à la tortue, pas plus qu'en Russie, en Italie, en Espagne, aux États-Unis.

La première médaille de ces Jeux a été gagnée en haltérophilie par une toute petite Chinoise de 48kg, Xiexia Chen. J'étais là pour Marilou Dozois-Prévost. Quand Marilou a eu terminé ses trois barres à l'arraché comme à l'épaulé, la Chinoise n'avait pas encore commencé son show. Sa première barre à l'arraché était de 14kg plus lourde que la meilleure barre de la Québécoise. Deux mondes. Comme le sport chinois et le sport canadien sont aussi deux mondes.

J'entendais un collègue ricaner dans la zone mixte où les athlètes viennent nous livrer leurs impressions: on sait bien! Il voulait dire: on sait bien, pour la soupe à la tortue! Pas forcément. Peut-être est-elle tout simplement une athlète d'exception. On a pas mal plus de chances de dépister des athlètes d'exception dans un milliard et demi de personnes qu'à Ville-Émard, par exemple, où Marilou allait à l'école et où, un midi, comme ça, par hasard, est allée à une démonstration que donnait Maryse Turcotte.

Xiexia Chen n'est pas venue à l'haltérophilie par hasard. Des recruteurs ont décidé pour elle qu'elle avait le profil d'une haltérophile, et c'est ce que tu vas être, ma petite fille, à partir de tout de suite. Elle a sûrement protesté. Elle faisait peut-être déjà autre chose, je ne sais pas, moi, de la danse à claquettes. Mais elle n'avait pas le choix. Elle a déménagé à Pékin dans une école de sport. La voilà championne olympique.

Au total des deux barres, elle a levé 46kg de plus que Dozois-Prévost. Quarante-six kilos, c'est à peu près le poids de la Québécoise. Marilou n'en a pas été humiliée. Elle exultait dans la zone mixte, elle a adoré sa première expérience olympique. Youppi, je vous revois à Londres, les boys.

De son côté, Xiexa, première médaille des Jeux, n'avait aucune raison de babouner. Photo pleine page dans tous les journaux de Chine. Et 200 000 yuans comme à tous les médaillés d'or - 30 000$, 15 fois le salaire annuel de son père. Je suis sûr que Xiexa ne regrette plus du tout d'avoir abandonné la danse à claquettes, si elle en a jamais fait, bien sûr.

Mais les plus contents étaient les spectateurs dans le gymnase. Quand le drapeau rouge est monté au mât, ils chantaient l'hymne national chinois à pleins poumons.

Et il y avait plus heureux encore que ceux-là: le président Hu Jintao. Vous n'imaginez pas comme il adore entendre les Chinois chanter l'hymne national. C'est comme s'ils chantaient les louanges du régime.

LES SPORTS ET LA RUE - Pour des gens qui se sont mis au sport d'élite récemment, les quelques Chinois auxquels je me suis frotté m'ont montré une étonnante culture sportive. Connaissent très bien le basket, le leur et celui de la NBA. Sont aussi très au fait de certaines disciplines olympiques, celles dans lesquelles s'illustrent des athlètes chinois, évidemment -volleyball, plongeon, gymnastique. C'est déjà pas mal plus que les animateurs de certaines émissions sportives.

On m'avait dit que je verrais des gens jouer au ping-pong dans les parcs. J'ai vu beaucoup plus de paniers de basket, qui est leur vrai sport national. Pas vu un seul joggeur depuis mon arrivée. Pour le vélo, je me félicite de ne pas avoir apporté le mien, je ne m'imagine pas pédalant sur ces boulevards tout droits, sans un arbre. Presque toutes les grandes avenues sont bordées d'une large voie cyclable, mais n'y circulent plus beaucoup de vélos. J'ai même parfois l'impression qu'il y en a moins que dans les rues de Montréal.

UNE VRAIE COURSE DE FILLES - Autant la course sur route des hommes, la veille, avait été animée et intéressante, autant celle des filles, sur le même parcours, hier, a été d'un total ennui. Il faut dire qu'il est tombé des trombes d'eau et que les filles ont peut-être eu l'impression qu'elles se feraient moins mouiller dans le peloton. On se serait cru à notre Gand prix féminin, quand il ne se passe rien pendant des tours et des tours. C'est quand même une des favorites qui a remporté la médaille d'or, l'Anglaise Nicole Cooke, devant la Suédoise Emma Johansson et la jeune Italienne Tatiana Guderzo, qui avait lancé l'attaque décisive.

Pour ce qui est des Canadiennes, Leigh Hobson finit 17e à 28 secondes, Erine Willock est à une minute et Alex Wrubleski, dans les dernières à 7 minutes.

UNE BONNE NOUVELLE - Pour finir, une nouvelle qui n'a rien à voir avec la Chine, mais je vous la donne pareil: une compagnie pharmaceutique américaine est en train d'inventer la dope ultime. Une dope pour les nuls et les gros tas. Tu ne fais rien? Tu ne t'entraînes jamais? Tu prends ce truc-là et paf, tu les plantes tous.

Je le sais par un physiologiste de l'exercice de l'UQAM, Claude Lajoie, qui me renvoie à une étude parue dans la revue scientifique Cell. Il s'agit de deux substances distinctes, l'AIRCAR et la GW1516, qui, en agissant sur les fibres musculaires, améliorent considérablement (44%!) l'endurance des souris sur lesquelles on les a testées. Des souris absolument sédentaires.

Pour l'instant, ce sont des souris. Mais ces substances sont déjà sur le marché noir. On va bientôt voir au départ de la finale olympique du 400 un mononcle avec un petit bedon, la quarantaine souffreteuse, et il va battre le record de Michael Johnson (43.18).

Ce sera la fin du sport. On va tous faire du loisir. On va enfin s'amuser.