Roger Federer est un grand champion, sans doute le plus grand de l'histoire du tennis. Mais aucun champion n'est éternel. Un jour ou l'autre, il doit céder son trône.

Le tour de Roger Federer est venu hier sur le court central du All England Club. Mais Federer n'allait pas laisser son dauphin Rafael Nadal lui succéder aussi facilement sur ce terrain qu'il chérit depuis son enfance.

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Hier, les deux joueurs ont disputé le plus grand match de l'histoire du tennis en finale de Wimbledon. Cinq manches. Deux interruptions en raison de la pluie. Une tension insoutenable. Deux champions qui repoussent les limites de leur sport sur ce terrain mythique.

Deux champions, mais un seul trône. Après quatre heures et 48 minutes de jeu, Federer a envoyé un coup droit de trop dans le filet. Rafael Nadal venait ainsi de gagner la plus longue finale de l'histoire de Wimbledon en cinq manches de 6-4, 6-4, 6-7 (5), 6-7 (8) et 9-7.

En début de match, rien ne laissait présager un dénouement aussi dramatique. Soit, la finale de Wimbledon opposait les deux meilleurs joueurs au monde pour la troisième année consécutive, mais Federer semblait étonnamment nerveux pour un habitué des finales du Grand Chelem. De son côté, Nadal a adopté la stratégie qui l'avait si bien servi en finale de Roland-Garros le mois dernier: attaquer constamment le revers de Federer, l'unique faiblesse du numéro un mondial, et tirer profit de sa mobilité et de sa puissance en fond de terrain.

Brisé dès la troisième partie, Federer perd la première manche par la marque de 6-4. Avec un bris d'avance en milieu de deuxième manche, le Suisse montre à nouveau des signes de nervosité. Il rate deux volées faciles à 4-2 qui permettent à Nadal de reprendre son bris de service. Nadal brise Federer une troisième fois afin de gagner la deuxième manche.

En milieu de troisième manche, les deux rivaux doivent rentrer au vestiaire pour la première fois. À leur retour sur le terrain, ils touchent la perfection chacun à leur façon: Federer, avec ses as, ses coups droits d'attaque et son style classique digne d'un quintuple champion de Wimbledon; Nadal, avec sa fougue, ses angles en fond de terrain et son efficacité au service.

Après avoir concédé la troisième manche au bris d'égalité à Federer, Nadal obtient deux balles de match au bris d'égalité de la quatrième manche. L'Espagnol croit avoir remporté le match en s'amenant à la volée sur le revers de Federer, mais ce dernier réussit un coup gagnant exceptionnel. Quelques points plus tard, le Suisse force la présentation d'une cinquième et ultime manche. S'il parvient à remporter le match, Federer deviendra le premier champion de Wimbledon à combler un déficit de deux manches à zéro en finale depuis Henri Cochet en 1927

La cinquième manche oppose deux champions qui voient leur destin se croiser. L'un, fier et orgueilleux, tente de retarder sa chute. L'autre, affamé mais respectueux des traditions, essaie presque de ralentir son ascension. Après une deuxième interruption en raison de la pluie, les deux rivaux reviennent sur le terrain à 2-2 avec une seule certitude: l'un d'eux devra bientôt céder.

Après cinq manches, Nadal ne montre toujours aucun signe de faiblesse au service. Malgré 13 balles de bris, l'Espagnol n'a cédé qu'à une seule reprise, en début de deuxième manche.

Le quintuple champion de Wimbledon, lui, est plus vulnérable sur son service. Et c'est confronté à sa vulnérabilité que Roger Federer jouera le meilleur tennis de sa vie. À 5-5 puis à 6-6, il efface le déficit avec une succession d'as et de coups gagnants. Du pur génie tennistique. Comme s'il voulait se faire plaisir une dernière fois avant de céder sa place sur le trône.

À 8-7, sur sa quatrième balle de match, Rafael Nadal gagne son cinquième titre du Grand Chelem en carrière. Il a seulement 22 ans. À cet âge, le grand Federer n'avait qu'un titre du Grand Chelem et entamait à peine son règne qui allait durer quatre ans.

Pendant que Rafa s'est permis une promenade inhabituelle dans la loge de la famille royale britannique après sa victoire, Federer cachait difficilement sa déception. Après sa sortie du terrain, il a essuyé quelques larmes sur l'épaule de John McEnroe, qui l'interviewait à la télévision. Une scène touchante.

Et maintenant, que fera Roger Federer? Sera-t-il incapable d'accepter l'échec comme son idole Borg, ou deviendra-t-il un modèle de longévité comme Agassi? Seul l'avenir le dira mais à 26 ans, il a bien d'autres matchs mémorables devant lui. Et probablement assez de titres du Grand Chelem pour battre le record de Pete Sampras. Il ne lui en manque que trois.

Hier, Roger Federer a cédé son trône, mais son successeur a refusé d'en prendre formellement possession. «Roger est toujours le meilleur joueur au monde», a déclaré Rafa à la foule du All England Club. Peut-être que Rafa était encore secoué par sa victoire. Ou qu'il préfère être prudent, lui qui n'a jamais rien prouvé au US Open sur une surface moins favorable à ses effets de balle et ses genoux fragiles. Mais Rafa ne pourra pas nier encore longtemps la nouvelle réalité du tennis mondial.

À partir de maintenant, le champion, c'est lui.