Le Russe Evgueni Lukyanenko a sorti de son répertoire un saut de 6,01 m mardi soir à Bydgoszcz (Pologne), attestant d'un regain de la discipline qui avait régressé après la retraite du tsar Serguei Bubka.

Avec l'Américain Brad Walker (6,04 m) et l'Australien Steven Hooker (6,00 m), Lukyanenko, 23 ans, est le troisième athlète, et le plus jeune du trio, à avoir dompté cette saison une hauteur que Bubka franchit une quarantaine de fois durant sa longue carrière.

Plus que la qualité des successeurs du maître, l'ex-entraîneur français Maurice Houvion pointe l'aspect psychologique dans ce recul. «Dans les années 80/90, la discipline a été attirée vers le haut par Bubka, que je considère l'athlète du siècle. Ses adversaires avaient la nécessité d'approcher au moins les 6,00 m pour être concurrentiels. Une fois les acteurs de cette époque disparus, il est devenu possible de gagner de grandes compétitions avec 5,90 m, voire moins», explique M. Houvion, le père de l'école française pendant trois décennies.

Et puis, comme dans tout cycle, «après avoir éte en bas de la vague, on remonte», remarque M. Houvion, entraîneur national de 1966 à 2000. Le technicien, qui a piloté deux champions olympiques (Pierre Quinon en 1984 et Jean Galfione en 1996), a vu à la télévision le saut record (personnel) de Lukyanenko.

Si Bubka possédait des qualités physiques exceptionnelles, catapulte dévorant l'espace jusqu'à établir un toit du monde à 6,14 m, c'est l'harmonie qui distingue Lukyanenko.

«Il m'a fait une bonne impression. Techniquement, il me semble plus fort que Bubka. Il a produit à 6,01 m un saut d'une grande fluidité, donnant une impression de facilité», souligne Maurice Houvion.

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oint au téléphone par l'AFP, Vitaliy Petrov, l'entraîneur de Bubka, pense que «Lukyanenko peut succéder à Bubka sur les tablettes du record du monde (6,14 m)».

Élasticité

«Evgueni est très fort dans sa tête. On le voit quand il lève sa perche au bout de la piste d'élan. Il ne tergiverse pas, il s'élance aussitôt. Il doit encore améliorer sa phase d'entrée, ce moment crucial quand l'athlète quitte le sol. Il possède une grande élasticité. Il paraît lent, mais c'est un faux lent. Un peu comme le sauteur en longueur panaméen Iriving Saladino (champion du monde en titre)», explique le chevronné coach, installé en Italie depuis 17 ans.

La perche était à vrai dire sortie de sa torpeur dès l'an dernier, comme le rappellent en choeur Houvion, Petrov et le Français Romain Mesnil, vice-champion du monde à Osaka.

«Osaka était le concours le plus relevé de l'histoire avec 8 perchistes à plus de 5,80 m (5,81 m), mais les +mecs+ retiennent que Walker a gagné avec 5,86 m. Ce concours était vachement riche. Il ne fallait jamais se déconcentrer. Aux Jeux, ce sera pareil, avec 5 ou 10 cm de plus», estime Mesnil.

Au Japon, Lukyanenko avait pris la 6e place, en passant 5,81 m. Il a depuis franchi un cap en précédant Walker pour l'or aux Mondiaux en salle en mars à Valence (Espagne), avec 5,90 m. Désormais, tel le poète, l'athlète de la région de Sotchi peut souffler: «Perche, reprends ton vol».