Instagram s'est donné comme mission d'être l'espace «le plus sympathique» du web. Et pour certains, l'application de partage de photos est en effet une plateforme dépourvue des messages de haine et du harcèlement qui abondent sur les autres médias sociaux populaires. Mais derrière les apparences se tapit un univers bien sombre.

Des clichés de voyages paradisiaques aux égoportraits de personnalités publiques en passant par les photos de bouffe par milliers, le tout sous un filtre flatteur. Vous avez deviné: vous êtes sur Instagram.

L'application détenue par Facebook, qui compte plus de 1 milliard d'utilisateurs, sert aussi à ceux qui ne sont pas «influenceurs» à publier des bribes de leur vie, sans prétention.

Bref, le portrait qu'on peut se faire de ce média social lancé en 2010 tend plutôt vers le beau, l'inoffensif, le léger.

Plus récemment, Instagram est aussi devenu un outil pour le partage d'opinions politiques, explique la spécialiste des médias sociaux et de l'internet Nellie Brière, ce qui «change la donne», et pas en mieux.

Le New York Times a par exemple rapporté lundi que plus de 11 600 publications contenant le mot-clic #jewsdid911 (les Juifs ont causé le 11-Septembre) s'étaient affichées sur Instagram après la tuerie survenue le 27 octobre dernier dans une synagogue de Pittsburgh, aux États-Unis.

Questionnée sur ses stratégies contre la diffusion de contenu haineux, Facebook a dirigé La Presse vers un texte signé par un des vice-présidents de la politique publique, Richard Allen. Il a expliqué que Facebook et Instagram surveillent l'apparition de ces mots-clics et publications qui contreviennent à leur politique. Le contenu haineux est supprimé, a assuré le géant.

Et, en effet, il n'y avait plus de trace de ce mot-clic dont parlait le Times sur Instagram, quelques heures après son apparition. «Il est clair que nous ne sommes pas parfaits pour mettre notre politique en application. Trop souvent, nous nous trompons», admet toutefois Facebook.

«Instagram reste une plateforme modelée pour de l'"inspirationnel", indique Nellie Brière. Mais n'importe quel média social est à risque, parce qu'ils sont tous un miroir de ce qui se passe dans la société.»

Jusqu'aux menaces de mort

Même les plus beaux filtres ne peuvent enjoliver le côté malsain d'Instagram. La plateforme n'échappe pas à la tendance perverse des réseaux sociaux à devenir des espaces de harcèlement et de diffusion de la haine, selon Mme Brière.

Sophie Labelle en sait quelque chose. La Montréalaise est une femme trans et partage depuis 2014 sa bande dessinée Assignée garçon sur les réseaux sociaux. Elle le fait sur Instagram depuis deux ans. Dès lors, des groupes haineux contre les personnes trans, surtout établis aux États-Unis, se sont mis à la harceler.

«J'ai été fichée sur plusieurs sites, des forums d'extrême droite ont commencé à épier chacun de mes mouvements, des parodies de mon travail à caractère transphobe, raciste, islamophobe et antisémite ont fait leur apparition», raconte-t-elle.

La violence a été plus importante sur Facebook et Twitter. Mais son compte Instagram n'a pas été laissé en reste.

L'an dernier, une campagne de harcèlement a de nouveau déferlé sur elle. «Mon site web a été hacké, mes pages mises hors ligne, et mon adresse, où je vivais avec un colocataire, a été divulguée sur leur forum», explique Sophie Labelle. Elle soutient avoir reçu au-delà de 17 000 menaces de mort et commentaires haineux durant cette période sur ses réseaux sociaux. Craignant pour sa sécurité, elle a préféré déménager.

Les comptes de défense des droits (des femmes, des trans, des gros, des animaux), d'acceptation de soi et de toute forme de lutte sociale font de plus en plus partie de l'univers Instagram. Et avec eux viennent les détracteurs de ces mouvances.

Sophie Labelle, elle, a décidé de ne plus lire les commentaires négatifs et violents qui lui sont adressés.

Le harcèlement, partout, tout le temps

La photographe et journaliste Ariane Labrèche a elle aussi pu constater la perversité cachée d'Instagram alors qu'elle travaillait sur une série de photos dans le cadre de la campagne Maipoils, une initiative pour briser le tabou du poil chez les femmes.

Elle a à l'époque affiché sur son compte Instagram des clichés de femmes exposant leur pilosité, sur leurs aisselles surtout et leurs jambes aussi. Les commentaires obscènes ne se sont pas fait attendre.

«C'était seulement des hommes, qui disaient des choses vraiment déplacées, comme si j'avais fait ces images pour leur plaisir et leur désir», témoigne Ariane Labrèche. Des inconnus, souvent à partir de comptes anonymes créés expressément pour envoyer ces insultes, lui racontaient qu'ils voulaient «toucher», «lécher» ou avoir des relations sexuelles avec les personnes photographiées.

Elle dit avoir été submergée de ce genre de messages, qu'elle a supprimés et dénoncés auprès d'Instagram.

«Mais ils reviennent tout le temps, ça n'arrête jamais, déplore la jeune femme. J'ai beau les signaler, il ne se passe rien.» Selon elle, ce n'est pas que les entreprises «ne veulent pas», mais plutôt qu'elles ne «savent pas» comment gérer efficacement ce qui se passe sur leurs plateformes.

Parce qu'Instagram touche surtout à l'image, «ça vire tout le temps sur le physique», note Ariane. 

«Sur Facebook, les gens publient des commentaires pour traiter les gens de n'importe quoi. Sur Instagram, on te dit que tu es laide. Il y a des appels à la mort, au suicide, directement basés sur un jugement de ton apparence.»

Instagram a ajouté au mois d'octobre des fonctionnalités pour combattre le harcèlement, car l'entreprise dit souhaiter faire de l'application «un espace d'expression personnelle amical, fun et, avant tout, sûr». L'intelligence artificielle est notamment utilisée pour sonder les photos afin de repérer les contenus problématiques. Le contenu est ensuite signalé et examiné par une équipe responsable des opérations, qui pourra supprimer toute image, tout mot-clic ou tout message inconvenant.

«L'éléphant dans la pièce ici, soulève Mme Brière, c'est que [les entreprises de médias sociaux] ont comme objectif prioritaire de faire du profit.» Un trop grand nombre de restrictions risqueraient de faire perdre de la clientèle à Instagram, et donc à Facebook, qui fera toujours tout pour éviter cela.

Que faire alors? Ni les personnes qui ont subi du harcèlement que nous avons consultées, ni la spécialiste, ni le géant Facebook n'avaient de réponse tranchée à cette question.

PHOTO FOURNIE PAR NELLIE BRIÈRE

Nellie Brière, spécialiste des médias sociaux et de l'internet