Le Dr Michel Gagner, spécialiste en chirurgie bariatrique, a réalisé il y a deux semaines une nouvelle intervention qui, contrairement aux techniques privilégiées à ce jour, ne modifie pas le système digestif. Un traitement non invasif approuvé il y a moins de six mois par Santé Canada, qui se présente désormais comme une nouvelle option pour les personnes souffrant d'obésité.

La technique se fonde sur une procédure déjà connue. Les personnes qui souffrent d'un cancer de la gorge ou qui sont incapables de se nourrir par la bouche peuvent en effet se faire poser un tube dans l'estomac, qui se rend jusqu'à la surface de la peau de l'abdomen - une gastrostomie percutanée. Une nourriture liquide peut ainsi leur être versée directement dans l'estomac. Une intervention maintenant courante.

Dans le cas des personnes obèses, qui ne veulent pas subir une chirurgie bariatrique, il s'agit de faire la même chose, mais à l'inverse. Au lieu de remplir l'estomac, on le vide.

L'intervention consiste à insérer un tube dans l'estomac, qui se rend jusqu'à la surface de la peau, où il est connecté à un bouton. Une demi-heure après chaque repas, on branche un dispositif (appelé AspireAssist) qui aspire le contenu de l'estomac - par gravité. Environ 30 % du contenu de l'estomac est ainsi évacué avant qu'il ne soit absorbé dans l'intestin. Résultat: une perte de poids de plus ou moins 30 %. Aucune modification n'est faite à l'estomac et le tube peut être retiré à tout moment.

La première intervention a été réalisée par le Dr Gagner le 10 janvier dernier - dans le secteur privé. D'autres interventions sont prévues dans les prochaines semaines.

«Après avoir traité plus de 10 000 personnes, je peux vous dire que les gens ont peur de la chirurgie bariatrique ou de ses conséquences», nous dit le Dr Michel Gagner, à l'origine de la technique de gastrectomie pariétale (sleeve gastrectomy), qui consiste à retirer la partie extensible de l'estomac - actuellement privilégiée. «La réalité est que 99,5 % des personnes qui sont de bons candidats à la chirurgie bariatrique n'osent pas aller de l'avant.»

Interventions moins invasives

L'avantage de cette intervention est que le système digestif demeure intact, contrairement à la gastrectomie pariétale ou à la dérivation biliopancréatique, où des portions de l'estomac sont retirées. «C'est sûr que lorsqu'on enlève 80 % de l'estomac, ce n'est pas un geste banal, nous dit le Dr Gagner. La gastrectomie est un peu moins invasive, dans le sens où on ne change pas la fonction de l'estomac, mais ces techniques sont sérieuses, même si, il faut le dire, elles sont très efficaces.»

Le critère de base pour être admissible à cette intervention est le même que pour toutes les autres interventions de chirurgie bariatrique : avoir un indice de masse corporel (IMC) de plus de 35 avec comorbidité (c'est-à-dire combiné à d'autres maladies) ou de plus de 40 sans comorbidité.

«On le propose aux patients qui ont peur de la chirurgie bariatrique, même si on préconise d'abord la gastrectomie, précise le Dr Michel Gagner. Comme il n'y a que 0,5 % des personnes admissibles à ces chirurgies qui se font opérer, il faut pouvoir offrir quelque chose d'autre aux autres, même si les résultats sont moins importants qu'avec les chirurgies traditionnelles. Ça peut aussi être une première étape, pour aider un patient à perdre du poids avant de faire une chirurgie permanente.»

Des objections

Certaines objections ont été formulées, le geste de vider son estomac après chaque repas étant notamment comparé à celui de se faire vomir.

«On se fait vomir quand volontairement on mange trop, répond le Dr Gagner. Tandis que là, les gens mangent de façon normale. Il se peut qu'une personne ingère le même nombre de calories que vous, mais que son métabolisme soit 25 % plus lent, qu'est-ce qu'on dit à ça? On se rend compte de plus en plus que les causes de l'obésité sont génétiques et hormonales. Les gens qui en ont fait l'essai en Europe depuis cinq ans ont quand même perdu jusqu'à 100 lb et maintenu un poids normal.»

Est-ce que le fait d'adopter ce dispositif peut être interprété par les patients comme un feu vert pour manger n'importe quoi?

«Vous savez, il y a 1,2 million de Canadiens qui souffrent d'obésité, et plus de 2 millions qui ont un diabète de type 2, donc on fait face à une épidémie», insiste le Dr Gagner, qui travaille également avec le Centre de chirurgie bariatrique de l'hôpital du Sacré-Coeur. 

«Les gens sont ostracisés à cause de leur obésité, ils ne trouvent pas d'emploi, ils sont discriminés, alors il faut envisager d'autres solutions, parce que sinon, ça va coûter cher au système de santé.»

Le secteur public prudent

L'AspireAssist est actuellement offert en clinique privée. Le dispositif distribué au Canada par Liaison Médical coûte environ 5000 $, tandis que la facture de l'intervention chirurgicale peut monter jusqu'à environ 9000 $. Les intervenants du secteur public observent la situation attentivement, mais ils ne sont pas encore prêts à offrir cette solution de rechange.

Le Dr Stéfane Lebel est l'un des chirurgiens bariatriques de l'hôpital Laval de Québec. Il n'est pas encore prêt à défendre cette technique.

«Toute procédure bariatrique faite avec un suivi sérieux est intéressante, mais on ne voit pas l'avantage de l'offrir à grande échelle à ce stade-ci. C'est sûr que c'est une façon de préserver l'intégralité du tube digestif, mais quels seront les résultats à long terme? On ne le sait pas encore. Donc on regarde attentivement ce qui se fait, mais ça prend beaucoup de données pour se faire une opinion. Je ne blâme pas nos collègues qui le font, mais nous, on n'est pas prêts à le faire.»

À l'hôpital Laval, le traitement le plus offert est la gastrectomie pariétale (sleeve) et la plus efficace, la dérivation biliopancréatique (où l'on court-circuite le petit intestin), selon le Dr Lebel - ce que ne conteste pas le Dr Gagner. «Il ne faut pas oublier que ces techniques-là sont très efficaces. Lorsque les recommandations sont bien suivies [notamment la prise de vitamines], le taux de succès de la gastrectomie pariétale est de 50 %; avec la dérivation, ça monte à 85 %.»

Photo Martin Chamberland, La Presse

«On se rend compte de plus en plus que les causes de l'obésité sont génétiques et hormonales», explique le Dr Michel Gagner.