Chez des Québécois qui se sont suicidés, des cellules en forme d'étoile appelées astrocytes fonctionnaient sans doute mal, comme si elles avaient été abîmées par le stress et l'inflammation. La découverte de ce dérèglement - qui se manifeste exclusivement dans les zones cérébrales impliquées dans la dépression - pourrait permettre un jour l'élaboration d'antidépresseurs révolutionnaires.

Cette recherche, publiée ce matin dans le plus prestigieux journal de psychiatrie, Molecular Psychiatry, a été menée par le neuroscientifique Naguib Mechawar, du Groupe d'études sur le suicide à l'Institut Douglas, également professeur au département de psychiatrie de l'Université McGill.

L'équipe du chercheur a analysé le tissu cérébral post mortem de 44 personnes - dont 22 mortes par suicide et 22 par accident - pour y repérer l'expression d'une protéine spécifique aux astrocytes (la GFAP). L'exercice a révélé une différence très nette - mais très localisée - entre les astrocytes des sujets mentalement sains et ceux des sujets suicidaires. L'écart s'observait uniquement dans le cortex préfrontal et dans certaines régions sous-corticales « précédemment impliqués dans les troubles de l'humeur », précise le Dr Mechawar. Il n'apparaissait pas au sein du cortex moteur, du cortex visuel ou du cervelet, qui n'ont justement rien à voir avec la dépression.

« Le développement de nouveaux médicaments doit absolument passer par une connaissance des cibles à atteindre. Même en 2015, on a encore beaucoup à découvrir sur la morphologie et l'organisation des cellules du cerveau humain », précise le chercheur.

Pourquoi?

Selon le Dr Mechawar, il est fort peu probable que les personnes souffrant de dépression soient nées avec des astrocytes anormaux. Ceux-ci se dérégleraient plutôt par la suite. Et cela pourrait être l'une des nombreuses manifestations de l'inflammation modérée chronique.

« Un stress majeur ou chronique peut jouer au niveau physiologique, affecter le cerveau et, plus globalement, perturber le système immunitaire », explique-t-il.

Même si elle n'est pas encore établie hors de tout doute, l'hypothèse de la neuro-inflammation fait de plus en plus son chemin et pourrait expliquer la maladie chez au moins une partie des patients dépressifs. « L'analyse d'essais cliniques montre qu'une combinaison d'antidépresseurs classiques et d'anti-inflammatoires semble être plus efficace pour améliorer le sort des patients », souligne entre autres le Dr Mechawar.

Les antidépresseurs déjà sur le marché n'ont pas été conçus pour agir sur les astrocytes, même s'il n'est pas impossible qu'ils le fassent indirectement. Pendant longtemps, les scientifiques ont cru que ces cellules ne servaient qu'à cimenter les diverses parties du cerveau (d'où leurs noms de cellules « gliales », comme « glue », soit « colle » en anglais). On a découvert assez récemment qu'elles participent en fait très activement à d'innombrables facettes du fonctionnement cérébral.