L'histoire est suivie d'un océan à l'autre, et jusqu'en Europe. C'est l'histoire de deux bébés dont l'un, condamné, devait cette semaine donner son coeur à l'autre. Les dons d'organe se faisant anonymement en Ontario comme c'est d'ailleurs le cas au Québec, cet arrangement très public entre les deux familles défraie la chronique, d'autant plus que rien ne s'est passé comme prévu.

Il y a, d'une part, la petite Ontarienne Kaylee Wallace qui, atteinte du syndrome de Joubert - une malformation cérébrale rare -, a passé presque toute sa vie à l'hôpital. Le jour, la petite a l'air très en forme. Quand elle s'endort, ses organes cessent de fonctionner. D'où le respirateur artificiel, d'où les problèmes rénaux dont elle souffre aujourd'hui.

Il y a, d'autre part, Lillian O'Connor, de l'Île-du-Prince-Édouard, qui ne pourra survivre que quelques semaines, au mieux quelques mois, si elle ne reçoit pas un coeur avant.

Dans les couloirs de l'Hôpital pour enfants malades de Toronto, les deux couples ont fraternisé et les parents de la petite Kaylee ont finalement plaidé pour que le coeur de leur bébé aille à Lilian. Pour eux, ce serait leur seule consolation, ont-ils dit.

Mardi soir, tout était mis en place. Les deux bébés ont été réunis dans une même salle d'opération. La petite Kaylee a été débranchée et les médecins surveillaient ses battements de coeur. Après le dernier, ils devaient attendre cinq minutes, puis transplanter le coeur dans la poitrine de Lilian. Mais Kaylee ne s'est pas endormie. Et n'est pas morte.

Le chef du service de chirurgie de l'hôpital torontois, James Wright, a alors indiqué que comme la fillette respirait d'elle-même, elle n'était plus, de façon immédiate, une candidate pour la transplantation.

C'est Jason Wallace, le père de Kaylee, qui a alerté les médias et qui les tient au courant de tous les développements. Et contre toute attente hier soir, il était question que Kaylee rentre à la maison et que son coeur soit donné quand son état se détériorerait de nouveau. «Bien sûr que nous souhaitons que notre enfant vive. Mais si elle doit mourir, nous voulons qu'elle puisse en sauver une autre.»

Rarement des cas de transplantation deviennent-ils publics. Et encore plus rarement les dons se planifient-ils dans une salle d'attente, entre deux familles.

Comme l'explique Brigitte Junius, porte-parole de Québec-Transplant, les coeurs et les foies, contrairement aux autres organes moins vitaux, sont normalement placés automatiquement sur des listes nationales afin que les Canadiens y aient un accès égal, par ordre de priorité et d'urgence.

Margaret Somerville, professeure au département de droit et de médecine à l'Université McGill, se désole surtout de ce que cette histoire ait dégénérée «en un quasi-show de téléréalité».

Mais les médecins n'auraient-ils pas dû, même s'ils se déroulaient dans le même département, garder ces deux cas isolés, d'autant plus que les coeurs et les foies sont placés sur une liste nationale? Peut-être les médecins ont-ils été pris entre l'arbre et l'écorce, répond le Dr Somerville. Oui, les règles générales de don d'organe doivent être respectées. Seulement, poursuit-elle, «aurait-on été plus avancés si les parents, frustrés de n'avoir pu destiner le coeur de leur enfant à l'autre bébé qu'ils connaissaient, avaient décidé de ne donner le coeur à personne, finalement?»

Le Dr Somerville ajoute cependant que l'affaire sèmera peut-être un doute sur l'équité du système, surtout si des parents d'enfants sur la liste d'attente s'estimaient lésés.

La société ontarienne qui s'occupe de transplantations d'organes a indiqué qu'elle ne ferait ses commentaires qu'aujourd'hui. L'hôpital pour enfants malades de Toronto n'a pas non plus commenté davantage hier.