Il a fallu 13 ans et 2,7 milliards US pour séquencer le génome humain. L'Earth BioGenome Project vise maintenant beaucoup plus grand : lire l'ADN de tous les êtres vivants de la Terre, de la modeste amibe à la baleine bleue en passant par la fougère, la fourmi et plus d'un million d'autres. Zoom sur l'un des projets scientifiques les plus ambitieux de notre époque.

1,5 million  d'eucaryotes

Levures unicellulaires, champignons microscopiques, plantes, insectes, oiseaux, poissons, mammifères, alouette : on connaît aujourd'hui 1,5 million d'espèces d'eucaryotes, soit des êtres vivants dont les cellules possèdent un noyau (cela exclut les bactéries). Voilà le tableau de chasse que visent les traqueurs d'ADN du Earth BioGenome Project. Ils ont du pain sur la planche : pour l'instant, les génomes d'à peine 15 000 de ces espèces ont été séquencés, soit moins de 0,1 %. « On s'est demandé : est-ce que c'est possible de faire toutes les espèces ? Et nous en sommes venus à un consensus général que c'est possible », dit John Kress, l'un des trois codirecteurs du projet et scientifique rattaché à la Smithsonian Institution.

4,7 milliards US

C'est le coût estimé du projet, qu'on prévoit pouvoir accomplir en 10 ans. John Kress explique qu'un grand nombre de scientifiques et d'institutions dans le monde seront mis à contribution. « Plusieurs groupes ont déjà commencé à faire des études génomiques sur des groupes précis comme les vertébrés, les poissons ou les plantes. Mais jusqu'à maintenant, les efforts sont désorganisés. L'idée est de standardiser le type de séquençage, la façon de conserver les données et de les partager. En ayant un regard central, on pourra aussi beaucoup mieux savoir ce qui a été fait et ce qui reste à faire », a-t-il expliqué à La Presse.

Travail de terrain

Si les tissus de plusieurs espèces sont déjà accessibles, des équipes iront bel et bien ratisser les jungles, les prairies et les océans du monde entier pour y attraper des plantes, des animaux et des organismes microscopiques. « Nous pensons découvrir un grand nombre de nouvelles espèces en faisant cela », dit John Kress. Des milliers de scientifiques seront mis à contribution.

30 000 $US

Selon John Kress, il faut aujourd'hui compter en moyenne 30 000 $US et plusieurs semaines pour séquencer le génome d'une espèce inconnue. Les efforts et les coûts varient considérablement d'une espèce à l'autre. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les génomes des plantes sont généralement beaucoup plus gros que ceux des animaux et demandent davantage d'efforts. Une fois le génome d'une espèce séquencé, celui d'une espèce reliée sera toutefois plus rapide et moins coûteux à faire. Les scientifiques comptent aussi sur les progrès technologiques pour faire diminuer les coûts et les délais.

Comme la conquête lunaire

Dans les années 60, le seul fait d'avoir fixé comme objectif d'envoyer des êtres humains sur la Lune a propulsé une cascade de développements technologiques. Les scientifiques de l'Earth BioGenome Project estiment que l'initiative permettra de la même façon de faire progresser les méthodes de séquençage et les connaissances sur les êtres vivants avant même qu'elle ne soit achevée.

Parasites et biomatériaux

Mieux comprendre les liens entre les êtres vivants, mieux gérer les écosystèmes et mieux préserver la biodiversité figurent parmi les objectifs de l'Earth BioGenome Project. John Kress croit aussi que connaître le code génétique des parasites et des espèces qui causent des maladies permettra de mieux les combattre. Il espère également que les connaissances accumulées permettront d'augmenter le rendement des plantes cultivables pour nourrir plus efficacement la planète. Des matériaux et des produits chimiques inspirés du vivant pourraient aussi voir le jour. De façon générale, le projet est annoncé comme susceptible de « démarrer une bioéconomie inclusive ».

Qu'est-ce que le séquençage ?

L'ADN est formé d'une longue séquence de quatre bases azotées qu'on peut identifier par des lettres (A pour adénine, T pour thymine, G pour guanine et C pour cytosine). Un séquençage complet consiste à lire toute cette séquence de lettres. Le séquençage du génome humain, achevé en 2003, a montré qu'il comprend 3 milliards de lettres. Les gènes sont des régions du génome qui contrôlent des processus spécifiques (l'homme en possède environ 20 000).