Prenez deux jumeaux monozygotes. Envoyez-en un dans l'espace pendant un an, puis comparez l'état de santé des deux frères avant, pendant et après le voyage. Le résultat? Un grand nombre de découvertes fascinantes sur les effets d'un voyage dans l'espace sur le corps humain, certaines inattendues. Retour sur une expérience unique menée par la NASA sur les jumeaux Scott et Mark Kelly.

Comprendre les effets de l'espace sur le corps humain est crucial pour préparer une mission habitée vers Mars. Le hic, pour les scientifiques, c'est que le corps se modifie en permanence, y compris sur Terre. Comment alors distinguer les effets causés par l'espace de ceux qui se seraient produits de toute façon sur Terre? L'idéal serait d'avoir deux versions du même individu. Et c'est un peu l'occasion qui s'est offerte à la NASA quand elle a engagé Scott et Mark Kelly, deux astronautes américains qui sont aussi... de vrais jumeaux.

En mars 2015, Scott est parti vivre un an dans la Station spatiale internationale (SSI), pendant que son frère Mark, au code génétique presque identique, restait sur Terre. La NASA voulait tellement profiter de l'occasion qu'elle a lancé pas moins de 10 programmes scientifiques sur les jumeaux Kelly, les bombardant de tests avant, pendant et après le séjour de Scott. Certains résultats viennent de filtrer.

Le mystère des télomères

L'une des découvertes les plus marquantes concerne les télomères, ces bouts d'ADN qui se trouvent aux extrémités des chromosomes et qui protègent ces derniers. Avec l'âge, les télomères raccourcissent. Mais étonnamment, ceux de Scott Kelly ont allongé pendant son séjour dans l'espace, avant de reprendre leur taille normale 48 heures après son retour sur Terre. Les télomères de Mark, pendant ce temps, restaient stables.

«Personne ne s'attendait à cet allongement dans l'espace», commente Perry Johnson-Greene, expert scientifique en chef pour les sciences de la vie à l'Agence spatiale canadienne, qui n'a pas été impliqué dans l'étude. Pour une rare fois, il semble que le séjour dans l'espace ait provoqué un effet positif sur la santé. Les scientifiques croient que cela pourrait être dû aux séances d'exercices et au régime plus faible en calories en vigueur dans la Station spatiale internationale, mais cela reste à vérifier. La découverte pourrait ouvrir de nouvelles pistes pour combattre les effets du vieillissement sur Terre.

Des «gènes de l'espace» affectés

Les scientifiques ont observé que la façon dont fonctionnent les gènes a été affectée par le voyage dans l'espace. Plusieurs centaines de «gènes de l'espace» (l'expression est de la NASA), soit 7% du génome, étaient toujours perturbés après le retour de Scott en comparaison de ceux de son frère.

Cette découverte doit toutefois être interprétée correctement. Tant Scott que Mark Kelly se sont amusés sur Twitter à affirmer qu'ils n'étaient plus de vrais jumeaux en raison des modifications génétiques, et plusieurs médias ont repris leurs affirmations. La NASA a dû remettre les pendules à l'heure. «Mark et Scott sont toujours de vrais jumeaux; l'ADN de Scott n'a pas changé de façon fondamentale», a-t-elle précisé.

C'est l'expression des gènes, soit la façon dont ils fonctionnent et fabriquent des protéines, qui a été modifiée, et non pas l'arrangement de l'ADN lui-même. La NASA a affirmé que les changements étaient du même ordre que ceux provoqués par des activités difficiles pour le corps comme l'alpinisme ou la plongée sous-marine.

Attention au CO2

La concentration de dioxyde de carbone dans un endroit comme la Station spatiale internationale est difficile à maintenir à des niveaux aussi bas que sur Terre. Jusqu'à maintenant, les scientifiques pensaient que la concentration de CO2 dans la SSI, bien qu'élevée, n'était pas dangereuse. Or, une analyse génétique menée sur Scott Kelly montre que l'astronaute a été affecté par l'hypoxie, soit un apport insuffisant en oxygène et un trop grand apport en CO2.

«C'est une autre découverte surprenante, commente Perry Johnson-Greene. À ma connaissance, c'est la première fois qu'on détecte des signes génétiques impliquant l'hypoxie pendant un voyage spatial. On a maintenant des informations qui montrent que la concentration en CO2 n'est peut-être pas un danger aigu dans les vaisseaux spatiaux, mais qu'il s'agit de quelque chose qu'on doit mieux comprendre.»

Autres changements

La NASA a bien observé des changements permanents à l'ADN des deux astronautes. Ces mutations génétiques étaient en nombre «plus élevé que prévu». Peu d'informations ont été dévoilées à ce sujet, mais l'expert Perry Johnson-Greene estime qu'il n'y a probablement pas lieu de s'alarmer. «Des mutations génétiques surviennent constamment. Le fait que la NASA ne parle pas de l'importance de ces mutations implique qu'elles ne sont peut-être pas si importantes», avance-t-il.

Le voyage a aussi provoqué un épaississement des artères de Scott Kelly, et des signes semblent montrer que ses os se sont dégradés. Tout cela était prévu. Les capacités cognitives de Scott Kelly n'ont pas été touchées de façon significative.

Dans l'ensemble, les résultats de l'étude sur les jumeaux Kelly sont-ils rassurants ou inquiétants en prévision d'un éventuel voyage vers Mars? « L'une des choses qu'on a apprises du voyage de Scott, c'est qu'on peut passer un an en apesanteur et être exposé à un niveau de radiation légèrement supérieur à celui sur Terre tout en étant un membre d'équipage pleinement fonctionnel», répond Perry Johnson-Greene, de l'Agence spatiale canadienne.