Créer par croisements successifs une pomme dotée de gènes de résistance à la tavelure, maladie numéro un du pommier, tout en étant agréable à manger et facile à conserver peut prendre 60 ans, comme en témoigne l'histoire d'Ariane, une variété née à Angers.

Tout a commencé au début des années 40 aux États-Unis. «Des collègues américains s'intéressant à la résistance aux parasites, des gens un peu en avance sur leur temps parce qu'à cette époque-là c'était loin d'être la préoccupation première, avaient fait des croisements», raconte François Laurens, chercheur à l'Institut national de recherche agronomique (Inra).

Un des spécimens issus de ces multiples unions entre espèces sauvages et variétés commerciales s'est avéré résistant à la tavelure, un champignon qui peut tacher les fruits et les rendre invendables.

«C'est la maladie numéro 1 du pommier, quasiment partout», relève M. Laurens. La quasi-totalité des variétés commerciales y sont sensibles. Par exemple, «pour la variété Gala, si vous ne traitez pas le verger ici à Angers, vous avez zéro production à la fin de l'année», précise le chercheur.

Né en 1943 de l'hybridation d'une Rome Beauty avec Malus floribunda, espèce sauvage porteuse de deux gènes de résistance à la tavelure, l'ancêtre de la future Ariane était loin d'être une pomme commercialisable. Car Malus floribunda donne des pommes immangeables de la taille d'une cerise et ses rejetons ne font guère mieux.

Grâce à des échanges de pépins ou greffons entre laboratoires, l'Inra d'Angers entreprend l'amélioration des premiers hybrides obtenus. «Pour arriver aux sélections d'aujourd'hui qui ont la tête d'une pomme, le calibre d'une pomme, le goût d'une pomme et qui se conservent comme une pomme, il a fallu faire plusieurs générations de croisements successifs», résume M. Laurens.

À chaque fois, il faut attendre qu'au bout de quatre ou cinq ans, les pommiers portent des fruits afin de sélectionner les meilleurs descendants.

En 1979, au terme du dernier croisement opéré à Angers, la future Ariane est née, mais pas encore baptisée, ni même choisie parmi ses multiples soeurs. Il faudra encore plus de vingt ans de travail avant sa commercialisation en 2003.

La sélection est longue: éliminer, parmi 313 semis, les moins résistants à la tavelure, choisir parmi les 233 jeunes plants restants les moins sensibles à d'autres parasites et, lorsque les premières pommes peuvent être dégustées, sélectionner les meilleures. Au bout de huit ans, il ne restait guère que deux «individus», dont Ariane.

Quinze ans de tests ont encore été nécessaires pour parfaire la sélection.  Ariane «avait un frère ou une soeur très attirant, très beau. Mais on s'est aperçu au bout de quelques années que cette autre pomme ne se conservait pas», raconte M. Laurens. Si les observations avaient duré «une ou deux années seulement, on serait peut-être parti sur ce numéro-là», poursuit-il.

«Une des limites d'Ariane, c'est que sa résistance à la tavelure n'est pas universelle», reconnaît-il. Certaines souches de ce champignon réussissent maintenant à contourner les résistances. Mais les traitements fongicides peuvent être fortement réduits.

Aurait-on raccourci les délais en insérant directement les gènes de résistance dans une variété déjà commercialisée ? «Il ne faut pas comparer les 60 ans qu'il a fallu pour Ariane avec une génération de transgénèse», met en garde M. Laurens, pointant le «travail en amont» qui serait indispensable pour créer un OGM.

Cultivée uniquement en France, sur 500 hectares de vergers, Ariane a profité d'une démarche commerciale originale associant pépiniéristes, producteurs et autres acteurs de la filière soucieux de valoriser ce rouge «bébé de l'Inra».