L'anthropologue Claude Lévi-Strauss a 100 ans aujourd'hui. L'anniversaire de cet immense anthropologue français, qui a consacré sa vie à l'étude des peuples dits «primitifs», aux symboles et aux structures de groupe, doit être célébré notamment au musée du Quai Branly, qui organise une série de manifestations ouvertes au public.

Claude Lévi-Strauss est né le 28 novembre 1908 à Bruxelles, de parents français, d'origine juive alsacienne. Son père, portraitiste, fut ruiné par l'avènement de la photographie. Après des études secondaires au lycée Janson de Sailly, à Paris, et une licence en droit, Claude Lévi-Strauss obtient une agrégation de philosophie à la Sorbonne en 1931.

Il enseigne deux ans aux lycées de Mont-de-Marsan et de Laon, puis est nommé membre de la mission universitaire au Brésil. De 1935 à 1939, il met sur pied et dirige plusieurs missions ethnographiques dans le Mato Grosso et en Amazonie. C'est son premier contact avec des tribus dites «primitives». Il passe de long mois avec les Caduveo, les Tupi-Kawahib, les Kaingang, les Bororo et les Nambikwara.

Mobilisé en 1939, il quitte la France à cause des lois anti-juives et réussit à se rendre aux États-Unis en 1941, en s'échappant sur un paquebot où il voyage avec André Breton et Victor Serge. Il enseigne quelque temps à la New School For Social Research de New York et participe à la fondation de l'École libre des hautes études de New York, dont il devient le secrétaire général. Engagé volontaire dans les Forces françaises libres, il est affecté à la mission scientifique française de Washington.

Rappelé en France en 1944 par le ministère des Affaires étrangères, il retourne aux États-Unis la paix revenue pour y occuper les fonctions de conseiller culturel auprès de l'ambassade, mais donne finalement sa démission en 1948 pour se consacrer à son travail scientifique. Il publie cette année-là «La Vie familiale et sociale des Indiens Nambikwara» et soutient sa thèse sur «Les Structures élémentaires de la parenté», publiée en 1949.

Rentré en France en 1949, il devient maître de recherches au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), puis sous-directeur du musée de l'Homme, et ensuite directeur d'études à l'Ecole pratique des hautes études, dans la chaire de Marcel Mauss, rebaptisée «chaire des religions comparées des peuples sans écriture». En 1955, il publie «Tristes Tropiques», récit de voyages qui bouleverse la pensée occidentale et lui apporte la célébrité.

Claude Lévi-Strauss est nommé professeur au Collège de France, chaire d'anthropologie sociale, en 1959, et occupe ce poste jusqu'à sa retraite en 1982. Il y fonde le laboratoire d'anthropologie sociale et la revue «L'Homme».

A cette époque, il publie «Le Totémisme aujourd'hui» (1962), les deux tomes de l'«Anthropologie structurale» (1958 et 1973), «La Pensée sauvage» (1962) et les quatre tomes des «Mythologiques» («Le Cru et le Cuit», «Du miel aux cendres», «L'Origine des manières de table», et «L'Homme nu»), de 1964 à 1971. Après 1982, il continue de publier de nombreux ouvrages, parmi lesquels «Des symboles et leurs doubles» (1989), et «Regarder Ecouter Lire» (1993).

Claude Lévi-Strauss, anthropologue méfiant envers les philosophes, excepté Montaigne et Rousseau dont il se réclame constamment, accomplit un travail transdisciplinaire. Il est l'un des pères du structuralisme, dont l'influence rayonne durablement dans les sciences humaines, en littérature et en psychanalyse.

Il élabore une théorie globale des interactions entre le symbolique, le corps et le groupe, avant d'étudier la pensée sauvage, à l'oeuvre dans les systèmes logiques et classificatoires des peuples autochtones et des sociétés occidentales, et dans le vaste ensemble des mythes des Indiens d'Amérique du Sud et du Nord.

Claude Lévi-Strauss a bâti son travail en opposition à la vision ethnocentrique des civilisations véhiculée par la philosophie marxiste de l'histoire, et combattu vigoureusement l'idée selon laquelle les sociétés primitives auraient plus à voir avec la nature qu'avec la culture.

En évoquant «la difficulté croissante de vivre ensemble», l'anthropologue a anticipé la montée du péril écologique. La pression de la population exerce des ravages sur la biodiversité. Et peut-être la pression démographique pousse-t-elle l'humanité «à se haïr elle-même», ajoutait-il.

Il a été élu à l'Académie française au 29e fauteuil, celui d'Henry de Montherlant, le 24 mai 1973. Il en est actuellement le doyen d'âge.

Grand-Croix de la Légion d'honneur et commandeur de l'ordre national du Mérite, couvert d'honneurs, Claude Lévi-Strauss a été fait docteur honorifique d'une quinzaine d'universités, dont Yale et Harvard, et a reçu la quasi-totalité des récompenses scientifiques, notamment la médaille d'or du CNRS et le prix Erasme.

Dans ses derniers livres, il s'est concentré sur les logiques esthétiques amérindiennes et occidentales, et a poursuivi une oeuvre morale commencée dès le début de son travail, attachée à la protection des différences, des espèces naturelles et de la diversité du monde.