La vie de scientifique est parfois pleine de surprises. Par un beau matin, Ian Burelle, candidat au doctorat en génie des bioressources à l'Université McGill, voit débarquer un inconnu dans son bureau. Un homme qui a une drôle d'histoire à raconter.

Microbrasseur, l'homme a tenté d'incorporer du glutamate monosodique, ou MSG, dans sa bière.

«L'idée me semblait bonne. Ça peut produire de beaux accords mets-bière», commente l'étudiant. Le concepteur de bières voulait tirer profit de ce que plusieurs appellent le goût «umami», ou cinquième goût (après le salé, le sucré, l'acide et l'amer), qu'on retrouve dans la sauce soya, certains champignons et plusieurs aliments fermentés.

Sauf que l'histoire du microbrasseur dépasse rapidement la gastronomie.

Après avoir bu un seul verre de leur nouvelle bière, l'homme et ses collègues se sentent décoller. Ils sont euphoriques, les couleurs leur semblent plus vives, les sons sont étrangement aiguisés.

«Gros effet psychoactif, résume l'étudiant. Ils refont une autre bière, demandent à un tas de gens de venir la goûter, et après un verre, même chose. Tout le monde se sent bizarre, même s'ils n'ont presque rien bu.»

C'est grâce au bouche-à-oreille que l'homme découvre Ian Burelle, qui travaille alors sur les produits secondaires de la fermentation.

Le GHB

L'étudiant est intrigué. Ses premiers soupçons se portent sur une molécule appelée gamma-butyrolactone. Présente en d'infimes quantités dans certains vins, elle se transforme dans le corps en acide gamma-hydroxybutyrique - le fameux GHB, ou drogue du viol. Ne paniquez pas : il faut plusieurs grammes de cette substance pour produire le moindre effet, alors qu'elle se retrouve en milligrammes dans le vin.

Mais se pourrait-il que la fermentation du glutamate monosodique en produise des doses importantes? Pour le savoir, M. Burelle se rend au labo et y brasse des bières en y incorporant du MSG. Mais il ne trouve rien.

Ce n'est que tout récemment qu'il découvre le pot aux roses : la bière brassée avec du MSG contient une molécule appelée acide gamma-hydroxyvalérique, ou GHV - une proche parente du GHB. Le GHV a des effets similaires à ceux du GHB, mais de plus fortes doses sont requises pour les déclencher (cela inquiète d'ailleurs les experts, qui craignent que la recherche de sensations fortes amène les usagers à en consommer des doses toxiques). M. Burelle présentera sa découverte au congrès de l'Association francophone pour le savoir (ACFAS) qui débute aujourd'hui.

Le truc d'incorporer du MSG dans la bière pour se triturer les neurones commence à se répandre sur l'internet, mais Ian Burelle le déconseille fortement.

«Il y a clairement des dangers», dit-il, rappelant que le GHB et les drogues analogues sont toxiques, peuvent provoquer des interactions imprévues avec toutes sortes de médicaments et sont connus pour entraîner des pertes de mémoire, des pertes de conscience et même des arrêts respiratoires pouvant causer la mort.

Le scientifique a maintenant réorienté son doctorat pour comprendre comment le MSG se transforme en drogue dangereuse. «J'ai la molécule de départ et la molécule finale, mais il y a une zone noire entre les deux, explique-t-il. Je veux comprendre ce qui se passe.»