Même dans la vingtaine, les mordus de jeux vidéo d'action emploient des stratégies typiques du troisième âge pour s'orienter dans l'espace. Une façon de procéder souvent associée à une réduction de matière grise dans l'hippocampe. Et à des risques accrus de troubles neurologiques ou psychiatriques dévastateurs, comme l'alzheimer, la schizophrénie, la dépression ou le stress post-traumatique.

«Depuis 10 ans, les recherches montrent que les gens qui jouent régulièrement aux jeux vidéo ont une meilleure attention visuelle, mais cela pourrait être nocif à un autre niveau», précise en entrevue l'auteur de cette découverte, Gregory West, professeur au département de psychologie de l'UdeM.

Son étude, publiée hier dans le Royal Society Journal, a été menée à l'Institut universitaire en santé mentale Douglas, avec sa consoeur Véronique Bohbot.

Les deux chercheurs ont soumis 59 jeunes - dont 26 joueurs assidus - à des tests virtuels, dont l'un consistait à repérer des objets dans un labyrinthe à plusieurs branches. Pour y parvenir, deux stratégies étaient possibles: ou bien mémoriser des repères visuels, ce qui met en oeuvre l'hippocampe, ou bien remarquer des schémas ou ses mouvements, en utilisant le striatum, situé sous le cortex.

Les 26 mordus de Call of Duty, Grand Theft Auto et autres jeux du genre étaient deux fois plus susceptibles (81% contre 43%) que les non-joueurs d'employer spontanément cette deuxième stratégie, dite d'«apprentissage stimulus-réponse» (que les chercheurs comparent à l'utilisation d'un pilote automatique). Ils étaient par conséquent presque quatre fois moins susceptibles (19% contre 57%) d'utiliser la première stratégie, dite spatiale, plus complexe.

En général, chaque individu emploie prioritairement une stratégie plutôt que l'autre, et produit plus de matière grise dans la zone cérébrale correspondante. Mais l'autre zone s'atrophie, un peu comme un muscle sous-entraîné.

Plus efficace en laboratoire, parce qu'elle est plus simple, la stratégie stimulus-réponse pourrait donc se révéler nuisible à long terme, croit le professeur West. Car le déclin de l'hippocampe est associé à diverses maladies.

Avec l'âge, de plus en plus de gens se rabattent néanmoins sur cette stratégie, dit-il. «Mais c'est sans doute parce qu'ils ont de plus en plus de mal à utiliser la stratégie spatiale.» L'idée de freiner le déclin cognitif des personnes âgées grâce aux jeux vidéo pourrait donc accentuer le problème au lieu de les aider, prévient-il. Pour réduire les risques de démence et de déficit cognitif, sa collègue Véronique Bohbot a plutôt mis au point un autre type de programme, visant plutôt à stimuler l'hippocampe.

Quant aux enfants, l'exposition soutenue aux jeux vidéo pourrait les encourager à prioriser, par habitude, la «mauvaise» stratégie. À 21 ans, un jeune moyen aura consacré des milliers d'heures de sa vie à des jeux vidéo d'action. Les sujets de l'étude de Douglas jouaient eux-mêmes 18 heures par semaine, en moyenne.

Reste à savoir si l'usage des jeux vidéo explique ou non le surdéveloppement du striatum au détriment de l'hippocampe. «On ne sait pas si les adeptes de ces jeux sont comme ça au départ. Si c'est le cas, ils pourraient être meilleurs aux jeux vidéo au départ, et les trouver plus agréables, donc jouer plus.»