Découvertes il y a plus d'un siècle sur un site préhistorique en Croatie, plusieurs serres d'aigles viennent de dévoiler leur secret: il s'agit des plus anciens bijoux au monde fabriqués il y a 130 000 ans par les Néandertaliens, bien avant l'apparition en Europe de l'homme moderne.

«Lorsque j'ai réexaminé les huit serres de l'aigle à queue blanche, j'y ai remarqué de nombreuses marques de coupes et cette révélation m'a frappée: elles ont été modelées par une main d'être humain», raconte à l'AFP Davorka Radovcic, conservatrice au Musée d'histoire naturelle de Zagreb où sont conservées depuis la fin du 19e siècle ces griffes de rapaces.

«Il s'agit, au moins pour l'instant, des plus anciens bijoux au monde», affirme Mme Radovcic, précisant que ces serres sont datées d'il y a 130 000 ans.

Mme Radovcic s'était donné en 2013 pour mission de réexaminer la collection d'objets découverts sur le site néandertalien de Krapina, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Zagreb. Sa recherche a abouti par la publication en ligne, début mars, d'une étude internationale par la revue scientifique américaine PLOS.

Le site de Krapina, qui dissimulait notamment des restes osseux de quelque 80 individus, avait été découvert en 1899 par le paléontologiste croate Dragutin Gorjanovic Kramberger. Il s'agit de la plus riche collection de fossiles néandertaliens découverte dans le monde.

Il a pourtant fallu 115 ans pour comprendre que les huit serres découvertes à Krapina faisaient partie de parures et qu'ils avaient été utilisés à des fins symboliques.

Selon Mme Radovcic, «une approche nouvelle et fraiche» lui a permis de remarquer ce qui échappait à de nombreux scientifiques durant des décennies.

Épaulée par deux collègues croates, Ankica Oros Srsen et Jakov Radovcic, et un professeur américain d'anthropologie à l'université de Kansas, David Frayer, elle a soigneusement étudié les échantillons portant des marques de coupes, de polissage et d'abrasion, à savoir les éléments suggérant que ces griffes avaient été modelées pour être transformées en bijoux.

Des griffes similaires déjà découvertes en France et Italie

Les scientifiques n'ont pas pu établir si ces serres faisaient partie de colliers ou de bracelets. Ils assurent, en revanche, que les Néandertaliens avaient collectionné et modelé des griffes d'aigles et que celles exhumées à Krapina appartenaient à trois oiseaux.

À ce jour, les plus anciens bijoux provenaient des sites préhistoriques découverts en Israël (Skhul et Qafzeh). Il s'agit de colliers de coquillages modelés il y a 110 000 ans par l'espèce dont l'anatomie était celle de l'homme moderne.

Des griffes similaires à celles de Krapina avaient été découvertes sur plusieurs sites en France et en Italie, dont la plus ancienne, à Pech-de-l'Azé, dans le sud-ouest de la France, est datée de quelque 100 000 ans.

Par ailleurs, ces bijoux de Krapina viennent confirmer à leur tour plusieurs autres études selon lesquelles les Néandertaliens avaient la capacité de pensée abstraite, contrairement à une idée générale de notre époque les décrivant comme des «brutes» et «stupides».

«Les Néandertaliens étaient dotés d'une culture symbolique quelque 80 000 ans avant l'apparition de l'homme moderne en Europe», dit Mme Radovcic.

«Je crois qu'ils admiraient les aigles. Ces bijoux sont un message. Nous ne savons pas ce qu'ils signifient, mais peut-être qu'ils voulaient ainsi s'accorder les caractéristiques d'un aigle», ajoute-t-elle.

La découverte croato-américaine a aussitôt provoqué des réactions des pairs.

«Elle révèle que les pratiques symboliques étaient ancrées dans les cultures matérielles des Néandertaliens avant ce que l'on pensait jusqu'à présent», dit l'archéologue italien Francesco D'Errico, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) français, cité par la revue Sciences et avenir.

Les Néandertaliens peuplaient pendant 250 000 ans certaines parties d'Europe, d'Asie centrale et de ce qui est aujourd'hui le Proche-Orient. Les raisons de leur disparition complète, il y a environ 40 000 ans, font toujours l'objet de débats.

Selon certaines théories, des hivers extrêmement froids en sont la cause. D'autres spécialistes croient qu'ils ont été surpassés par l'homme moderne (Homo sapiens), plus intelligent et plus sophistiqué, qui avait investi le territoire peuplé par les Néandertaliens en arrivant en provenance de ce qui est aujourd'hui l'Afrique.