De quoi sera fait le monde en 2050? À l'heure du réchauffement climatique et de la hausse des prix des produits de base, notre journaliste Mathieu Perreault s'est penché sur les défis que pose l'alimentation d'une population mondiale en forte croissance. Il s'est entretenu avec plusieurs experts qui participent actuellement à Washington au congrès annuel de l'Association américaine pour l'avancement des sciences (AAAS), la plus grande rencontre scientifique de la planète.

Le monde en 2050 aura besoin de 70% plus de nourriture qu'actuellement. L'impact se fera particulièrement sentir en Afrique subsaharienne, qui comptera 1 milliard d'habitants de plus.

«Le problème est exacerbé par le désir d'avoir une agriculture durable et de limiter l'impact des changements climatiques, explique Jonathan Foley, biologiste de l'Université du Minnesota. Ça multiplie la complexité par trois.»

Débat sur les biotechnologies

À une conférence d'agronomes samedi, la biotechnologie était présentée comme une part incontournable de la solution. Hier matin, un groupe de démographes et d'écologistes était plus sceptique. «Je ne suis pas convaincu que les OGM ont augmenté la productivité par hectare, dit M. Foley. Ça a rendu l'agriculture plus efficace, mais on parle ici seulement de productivité par dollar investi.»

Signe de l'urgence, cependant, le représentant du World Wildlife Fund, Jason Clay, a indiqué que le groupe environnementaliste était en train de remettre en question son opposition aux OGM. «Je pense qu'on peut utiliser la biotechnologie pour la sélection des traits, sans avoir d'OGM dans les champs, dit M. Clay. Mais il faut essayer de partir des faits. Si les OGM sont inévitables pour nourrir la planète de façon durable, il faut l'accepter.»

L'agriculture a des possibilités d'amélioration à court terme très prometteuses. «Les meilleurs fermiers sont 100 fois plus productifs que les moins bons, et les pays les plus productifs le sont 10 fois plus que les pays les moins productifs, dit M. Clay. On peut faire de grands pas, simplement en partageant les connaissances.»

Plus d'instabilité

Les changements climatiques bouleverseront la donne. «Il y aura beaucoup plus d'instabilité, croit M. Clay. Une année de sécheresse pourra être suivie par une année d'inondations. Il faut repenser les modes de financement de l'agriculture pour partager davantage les risques entre les banques et les fermiers, pour planifier à long terme.»

Peter Langridge, de l'Université d'Adélaïde, en Australie, souligne qu'à court terme, l'augmentation du dioxyde de carbone dans l'atmosphère bénéficiera à la croissance du blé - contribuant au tiers de l'augmentation annuelle prévue de 1% de la production de blé. «Mais au-delà d'un certain seuil, la température trop chaude contrebalancera cet effet bénéfique du CO2.»

L'agronome australien souligne également que les campagnes visant à modifier les habitudes alimentaires peuvent avoir des effets inattendus. «Plusieurs pensent qu'il faut que les pays riches mangent moins de viande, parce qu'une calorie animale nécessite l'émission de plus de gaz à effet de serre qu'une calorie végétale. Mais si on arrivait à ce point, le prix des céréales augmenterait, ce qui serait néfaste pour les pays pauvres, du moins à court terme.»

Croissance démographique

L'autre grande inconnue est la croissance attendue de la population. «On ne sait pas si le pic de population sera de 7,5 ou de 9 milliards», explique le démographe John Bongaards, du Population Council, à New York. «Ça dépendra de la forme que prendra la courbe de fertilité et de la longévité. Les optimistes pensent qu'on pourra vivre jusqu'à 100 ans sans problème, en moyenne. S'ils ont raison, c'est une mauvaise nouvelle, la population dépassera les prévisions. Et on ignore si la fertilité des pays en voie de développement suivra celle des pays européens et du Japon. Il semble que oui, mais en démographie, rien n'est prouvé. Et qui sait, peut-être les pays européens et le Japon réussiront-ils à augmenter leur natalité?»

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Les microbes de l'effet de serre

Les conséquences alimentaires du réchauffement climatique ne seront pas seulement dans les champs. Le risque d'intoxication alimentaire augmentera également, selon une étude de l'Université de Californie à Los Angeles discutée au congrès de l'AAAS. Le nombre de cas de salmonellose, par exemple, augmente de 5% à 10% chaque fois que la température augmente de 1 degré celcius. De son côté, la durée des invasions d'algues rouges, qui sont toxiques et rendent les mollusques impropres à la consommation, augmentera potentiellement de trois mois dans le sud des États-Unis.