Satellites tueurs, lasers aveuglants, brouilleurs sophistiqués: les grandes puissances préparent discrètement la guerre dans l'espace, au risque de lancer une dangereuse course aux armements.

Depuis quelques années, les responsables militaires américains ne cessent d'alerter sur la vulnérabilité croissante de leurs satellites, pourtant cruciaux pour leurs armements.

Jadis chasse gardée des Américains et des Russes, l'espace est désormais accessible à de multiples acteurs, étatiques ou non. Et Moscou et Pékin démontrent des capacités d'attaque spatiale qui inquiètent les stratèges américains.

«Nous devons nous tourner vers l'avenir: que se passera-t-il si un conflit sur la Terre s'étend à l'espace? Comment défendrons-nous nos satellites?», demandait mi-septembre la patronne civile de l'US Air Force, Deborah Lee James.

En 2015, le comportement mystérieux d'un satellite russe a alimenté les spéculations sur le développement par la Russie de possibles satellites d'attaque, capables de se déplacer et de manoeuvrer dans l'espace pour approcher d'un satellite cible.

Sans explication ni préavis, le mystérieux engin s'est positionné pendant plusieurs mois entre deux satellites commerciaux Intelsat en orbite géostationnaire, s'approchant à moins de 10 kilomètres de l'un d'eux... avant de repartir.

«Une approche non autorisée et aussi près [...] est vraiment inquiétante», estime Victoria Samson, spécialiste d'une fondation américaine oeuvrant pour une exploitation durable de l'espace. «Nos satellites sont cruciaux pour notre sécurité nationale et le fait qu'un autre satellite puisse s'approcher d'eux et interférer avec leur activité est vraiment dérangeant» pour les stratèges militaires.

«L'espace va se militariser»

La Chine a aussi démontré en 2013 sa capacité à envoyer en orbite basse un petit satellite capable de manoeuvrer vers un autre engin.

La même année, Pékin avait frappé les esprits en tirant vers l'espace un nouveau missile capable d'atteindre l'orbite géostationnaire, à 36 000 kilomètres de la Terre, pour frapper un satellite.

Pour le Pentagone et certains experts américains, les États-Unis doivent accélérer leurs efforts militaires dans l'espace pour éviter que les satellites ne deviennent le talon d'Achille de leur armée.

«Ces dernières années», le Pentagone «a beaucoup agi pour développer des réponses aux menaces que la Russie et la Chine sont en train de développer. Nous devons aller plus vite», indiquait récemment devant le Congrès le général John Hyten, qui dirige les forces stratégiques américaines.

«Si quelqu'un dispose en orbite d'un engin capable de détruire nos satellites, nous aurons peut-être besoin de capacités pour les défendre», explique Elbridge Colby, du centre de recherche sur la Défense CNAS à Washington. «L'espace va inéluctablement se militariser [...] Nous devons être réalistes».

Les États-Unis doivent développer «des formes efficaces, mais limitées d'attaques dans l'espace, en particulier des armes non cinétiques» comme les lasers ou les brouilleurs, souligne-t-il.

D'autres experts invitent à la retenue, rappelant que le Pentagone dispose probablement déjà des capacités offensives que Pékin et Moscou chercheraient à acquérir.

«Il y a un peu d'exagération par ceux qui, dans la sphère militaire, ont du mal à accepter que les États-Unis puissent perdre leur rôle de puissance dominante dans l'espace», indique Victoria Samson.

Par exemple, les Américains disposent depuis peu de quatre satellites capables de manoeuvrer en orbite géostationnaire pour aller inspecter et surveiller de près un autre satellite. Les deux derniers ont été lancés en août.

Les États-Unis disposent également depuis 2004 d'une station de brouillage mobile, qui depuis la Terre peut brouiller un satellite. Et ils ont déjà testé la destruction d'un satellite avec un missile.

Code de conduite international

Pour Theresa Hitchens, chercheuse à l'université du Maryland, les Russes et les Chinois «rattrapent très vite» l'avance américaine.

«Pour l'instant, on est beaucoup dans la démonstration technologique», mais sans initiative diplomatique, «on finira par avoir une course aux armements dans l'espace», avertit-elle.

Avec un risque extrême pour l'humanité, souligne-t-elle: «Si nous avons un jour une guerre qui implique des armes antisatellites» créant une multitude de débris, «nous endommagerions tellement l'espace» qu'il serait très difficile ensuite de continuer à exploiter les satellites, ajoute-t-elle.

Pour Michael Krepon, expert américain vétéran des négociations mondiales de désarmement, il faut négocier un code international de bonne conduite dans l'espace, comprenant un volet militaire.

«Mais l'administration Obama n'a vraiment jamais mis son poids derrière ces négociations», suspendues depuis 2015, regrette-t-il. Les États-Unis ont laissé l'initiative à l'Union européenne et celle-ci «a été très peu efficace».