Sa construction n'a pas été sans heurts ni scandales de corruption, mais le cosmodrome de Vostotchny, symbole des ambitions retrouvées de l'industrie spatiale russe et conçu pour remplacer le vénérable Baïkonour, connaîtra mercredi son lancement inaugural.

À 12H01 (02H01 GMT), un lanceur Soyouz 2.1a chargé de mettre en orbite trois satellites scientifiques décollera pour la première fois de ce centre spatial sorti de terre en moins de cinq ans dans la région de l'Amour, dans l'Extrême-Orient russe.

La construction de ce centre spatial, considéré comme le « plus grand chantier du pays » par les médias russes avec un budget estimé de 300 à 400 milliards de roubles (4 à 5,3 milliards d'euros au taux actuel), avait été ordonnée en 2007 par Vladimir Poutine sur le site d'une ancienne base de missiles soviétiques, Svobodny-18.

Les travaux ont commencé en 2012 dans cette région immense, mais peu peuplée : environ 10 000 ouvriers ont construit 100 km de routes, autant de voies ferrées et une ville capable d'héberger 25 000 habitants.

Le principal avantage de Vostotchny est de se trouver en Russie et donc de permettre à Moscou de ne plus dépendre du cosmodrome de Baïkonour, au Kazakhstan, loué 115 millions de dollars par an depuis la chute de l'URSS.

Le site de Vostotchny est plus proche de l'équateur que la base russe déjà existante de Plessetsk, dans le nord de la Russie : un paramètre qui facilitera les futures mises en orbite.

D'une surface totale de 1000 km2, le nouveau cosmodrome n'accueillera dans un premier temps qu'un seul pas de tir destiné aux lanceurs Soyouz, qui demeurent l'unique moyen d'envoyer des hommes dans l'espace, notamment pour rejoindre la Station spatiale internationale (ISS).

Une deuxième phase de travaux commencera en 2017 pour construire un second pas de tir spécialement renforcé pour le futur lanceur lourd Angara, censé remplacer la fusée Proton, jugée trop polluante et victime de nombreux incidents ces dernières années.

Scandales à répétition

Malgré son intérêt stratégique, le cosmodrome de Vostotchny a été marqué par de nombreux scandales de corruption, amenant la justice à ouvrir des dizaines d'enquêtes pour détournement de fonds.

En janvier, le quotidien gouvernemental Izvestia estimait ainsi à 1,4 milliard de roubles la somme totale de fonds fédéraux volés pendant les travaux tandis que l'agence fédérale chargée de mener le chantier, Spetstroï, indiquait avoir déposé 31 plaintes pour des faits de corruption dont le montant s'élevait à 4 milliards de roubles.

Initialement prévu pour fin 2015, le premier lancement avait été retardé de quatre mois en octobre, Vladimir Poutine exigeant de Dmitri Rogozine, le vice-premier ministre russe responsable de l'espace, que le cosmodrome soit prêt pour le printemps 2016. Une mission accomplie, même si le premier lancement aura lieu sur un cosmodrome toujours en chantier.

« Il reste des travaux, il y en a même un certain nombre, mais ils n'auront pas d'influence sur le lancement (...)  Tous les essais ont été concluants », assure Igor Marinine, rédacteur en chef de la revue Novosti Kosmonavtiki.

Les journalistes étrangers, dont l'AFP, n'ont toutefois pas été autorisés à assister au lancement inaugural et aucune visite du cosmodrome pour la presse n'a été prévue.

Pour quel usage ?

Autre problème pour Roskosmos, trois cosmodromes (Baïkonour, Plessetsk et Kourou en Guyane) disposent déjà de pas de tir adaptés aux Soyouz et l'agence spatiale russe peine à trouver des missions justifiant des lancements depuis Vostotchny.

« En théorie, on peut faire un lancement tous les jours. Mais la question, c'est où trouver autant de fusées? », s'interroge Igor Marinine, alors que le décollage inaugural sera le seul de l'année 2016 et qu'un seul lancement est prévu en 2017.

Tandis que Roskosmos dit espérer voir l'activité commerciale de Vostotchny réellement décoller à partir de 2018, Dmitri Rogozine a de son côté prévenu mi-avril, au micro de la radio Ekho Moskvy, que la Russie continuera d'utiliser Baïkonour pour envoyer des hommes dans l'espace jusqu'en 2023.

« Aujourd'hui, il faut passer le plus vite possible à la deuxième étape de la construction pour que les lanceurs Angara puissent décoller », ajoute Igor Marinine. Mais les premiers vols d'essai depuis Vostotchny n'auront pas lieu avant 2021, a déjà prévenu Roskosmos.