Depuis un archipel perdu dans l'Arctique ou le siège d'un avion, quelques privilégiés ont vu vendredi la Lune grignoter le Soleil dans un spectacle époustouflant qu'une météo défavorable a gâché pour le plus grand nombre.

Objet d'un grand intérêt médiatique, une éclipse solaire plus ou moins partielle avait été promise aux populations d'Europe, du Nord-Ouest de l'Afrique et de l'Asie, mais ce sont les nuages, et non pas la Lune, qui ont masqué le Soleil aux regards dans la plupart de ces régions.

Les déçus, en tout cas ceux vivant près du littoral, pourront se consoler samedi en allant contempler sur les côtes de l'Atlantique, de la Manche ou de la Mer du Nord les grandes marées dont l'ampleur exceptionnelle (coefficient de 119 sur une échelle théorique de 120) est elle aussi due à l'alignement Terre-Lune-Soleil.

Seule terre émergée avec les îles Féroé à se trouver sur la trajectoire de l'éclipse totale, l'archipel norvégien du Svalbard (Spitzberg) a offert en plein coeur de l'Arctique un spectacle magique aux amateurs et professionnels venus parfois des antipodes pour observer le «Soleil noir».

Dans un ciel dégagé, après avoir été longtemps menaçant, l'astre solaire a intégralement disparu sous le regard des milliers d'habitants et d'étrangers chaudement emmitouflés pour affronter un froid de -20°C.

Émergeant tout juste de quatre mois de nuit polaire, l'archipel situé à un gros millier de kilomètres du pôle Nord est ainsi retombé, en plein jour et pendant 147 petites secondes, dans une obscurité quasi totale.

«Je n'ai jamais vu autant de phénomènes se produire pendant une éclipse», a confié, enthousiaste, Kathy Biersdorff, venue de Calgary (Canada) pour voir sa 11e éclipse solaire totale depuis 1979.

De mémoire locale, dans des lieux pourtant habitués au ballet envoûtant des aurores boréales, on n'avait rarement vu plus beau. «C'est l'une des choses les plus spéciales que j'aie jamais vécues», a confié Anne Lise Sandvik, 66 ans, dont 42 passés à Longyearbyen, le chef-lieu aux maisons multicolores du Svalbard.

La météo a été moins conciliante aux Féroé, territoire autonome danois trônant au Nord du Royaume-Uni, privant les observateurs de l'occultation totale du Soleil promise. Mais même cachée derrière les nuages, l'éclipse a fait forte impression.

«Le ciel était couvert et il s'est assombri. Il y a eu un choc collectif audible parmi les 300 personnes autour de moi», a témoigné auprès de l'AFP l'astrophysicien Ole Knudsen, qui dit avoir noté une chute «prononcée» -- de «deux ou trois degrés» -- de la température au passage de l'éclipse.

Éclipse... à éclipses

Il s'agissait de la 10e éclipse solaire totale depuis le début du siècle. Pour qu'un tel événement se produise, plusieurs conditions doivent être réunies: la Lune doit s'intercaler entre la Terre et le Soleil dans un axe parfait mais aussi à une distance suffisamment proche de notre planète pour que son diamètre apparent dépasse celui du Soleil.

Certains amateurs et professionnels ont contourné les aléas météo en embarquant dans des avions pour se transporter au-dessus des couches nuageuses.

«Nous avons vraiment eu une superbe expérience visuelle», s'est félicité John Valentin Mikkelsen, un des 50 Danois qui avaient pris place à bord d'un Boeing 737 affrété spécialement pour l'occasion.

«Mais quand on est dans un avion, on ne ressent pas les changements de température comme quand on est à terre, ni le vécu dans la nature avec les oiseaux qui croient qu'il est temps de se reposer parce qu'il fait sombre», a-t-il dit, sans que cela entame son enthousiasme.

Canadien lui aussi, Michael Jackson a raconté comment l'avion à bord duquel il avait pris place avait fait la course et... perdu avec l'ombre lunaire. «On a essayé de suivre l'ombre mais elle se déplaçait très rapidement», a-t-il dit. «On a quand même réussi à prolonger la totalité (de l'éclipse) de 2 minutes et 50 secondes à 3 minutes 45».

Pour l'immense majorité de la population clouée sur le plancher des vaches ou n'ayant pas eu la chance d'être dans le Nord de l'Europe, l'éclipse aura cependant été un rendez-vous manqué.

À Londres, où l'occultation était annoncée à 84 %, environ 500 personnes s'étaient réunies à Regent's Park, équipées de télescopes sophistiqués ou faits maison. Mais la météo a largement gâché la fête de même qu'en France ou en Espagne.

Entre deux photos d'un ciel désespérément nuageux, la déception pointait sur les réseaux sociaux, parfois exprimée avec humour.

«C'est pas des lunettes qu'il fallait, c'est des nuagettes», a plaisanté une internaute française, Ingrid Zerbib, sur Twitter. «Entre deux nuages, c'est une éclipse... à éclipses», a lâché Haude Giret, une autre utilisatrice de Twitter.