Piquée au vif par les sanctions occidentales à son encontre dans la crise ukrainienne, la Russie menace de remettre en cause la coopération spatiale avec les États-Unis, une décision qui risquerait toutefois de lui coûter très cher.

Le vice-premier ministre russe Dmitri Rogozine, en charge du secteur de l'espace et des armements, a annoncé mardi que la Russie n'avait pas l'intention de poursuivre l'exploitation de la Station spatiale internationale (ISS) au-delà de 2020.

En avril, il avait frappé les esprits en écrivant sur Twitter que les spationautes américains pourraient désormais avoir besoin d'un «trampoline» pour rejoindre l'ISS.

Les vaisseaux russes Soyouz sont en effet, depuis l'arrêt des navettes spatiales américaines, le seul moyen d'acheminer et de rapatrier les équipages de l'ISS.

Connu pour sa rhétorique anti-occidentale, et lui-même visé par des sanctions occidentales, M. Rogozine avait estimé que les États-Unis n'hésitaient pas à «exposer» leurs astronautes de l'ISS.

Un terme suffisamment ambigu, dans un contexte d'escalade verbale entre les deux anciens ennemis de la Guerre froide, pour susciter l'inquiétude.

Un vaisseau russe Soyouz a encore ramené à terre mercredi un Américain, Rick Mastracchio, avec un Japonais et un Russe.

Mais pour l'expert russe indépendant Vadim Loukachevitch, la menace de mettre fin à la collaboration russo-américaine risque surtout de signer l'arrêt de mort de l'industrie spatiale russe.

-La «mort» du programme spatial russe-

«À court terme, M. Rogozine a raison. Sans la Russie, les États-Unis ne peuvent accéder à l'ISS», explique-t-il.

«Mais à long terme, dans 5-7 ans, sans collaboration internationale, le programme spatial russe est mort».

«M. Rogozine oublie que s'il met fin au lancement de satellites par des lanceurs russes pour le compte des Etats-Unis, le programme de lancements sera réduit de moitié, et cela occasionnera un énorme préjudice» financier et industriel à la Russie, observe-t-il encore.

Par ailleurs, seule, la Russie ne peut explorer ni la Lune ni d'autres planètes, son objectif affiché à horizon 2030-2050, remarque l'expert.

Moscou perdrait aussi beaucoup à ne plus fournir aux États-Unis les moteurs de fusées NK-33 et RD-180, fabriqués en Russie et qui permettent principalement de lancer des satellites destinés aux programmes de défense américains, comme l'a annoncé le directeur de Roskosmos, Oleg Ostapenko.

«Nous sommes prêts à fournir ces moteurs aux États-Unis, mais à condition qu'ils ne soient pas utilisés pour lancer des engins spatiaux militaires», a-t-il déclaré mardi.

Si la Russie refuse de livrer ces moteurs, les Américains se mettront à en produire eux-mêmes, relève M. Loukachevitch.

«Or nous avons besoin de garder ce marché. Nous n'avons pas beaucoup de produits compétitifs», s'inquiète l'expert.

-Coupes budgétaires-

En réalité, «il est tout à fait possible qu'il y ait, sous couvert de déclarations patriotiques, la volonté d'économiser en arrêtant l'ISS en 2020. Notre économie stagne, le dollar s'envole, nous avons besoin d'argent pour des politiques sociales», analyse M. Loukachevitch.

La décision de la Nasa de suspendre ses contacts avec la Russie, à l'exception de la collaboration portant sur l'ISS, avait soulevé les mêmes interrogations dans la presse américaine, qui avait accusé l'administration Obama d'utiliser la crise ukrainienne pour justifier de coupes budgétaires pour l'agence spatiale.