Tout juste avant le 40e anniversaire du premier vol spatial habité, le journaliste scientifique britannique Piers Bizony avait écorché la réputation du mythique Youri Gagarine. Le cosmonaute soviétique y était décrit comme un alcoolique, coureur de jupons, responsable d'accidents de voiture en série et finalement architecte de sa propre mort, dans un écrasement d'avion le 27 mars 1968 après une soirée bien arrosée.

Le livre de M. Bizony, Starman, décrivait en outre Youri Gagarine comme un pion dans la lutte politique entre Leonid Brejnev et Nikita Khrouchtchev. Comme ce dernier, Gagarine était encensé comme un fils de paysans.

La réaction du corps des astronautes n'a pas été longue. Ils ont défendu la réputation de leur camarade, comme lors de la publication d'articles sur la vie dissolue des premiers astronautes américains, les fameux «cow-boys de l'espace».

Alors qu'on fête ce matin le demi-siècle du vol historique de Gagarine, l'astronaute canadien Chris Hatfield a accepté de revenir sur la controverse.

«C'est sûr qu'être le premier à aller dans l'espace a mis beaucoup de pression sur Gagarine», explique M. Hatfield, en entrevue de Toronto où il visitait hier une école secondaire pour parler du cosmonaute soviétique. «Mais j'ai parlé à certains de ses amis et ce sont des gens formidables. Le jour où il est mort, la météo n'était pas bonne et, en plus, ils étaient deux dans l'avion. Pour moi, c'est un accident.»

Pour ce qui est de l'animosité de Brejnev, qui aurait, selon M. Bizony, poussé Gagarine au désespoir, M. Hatfield est encore plus catégorique. «Ce ne sont pas des politiciens qui sont allés dans l'espace, ce sont des cosmonautes et des astronautes. Gagarine a fait quelque chose d'extraordinaire, un point c'est tout.»

Dans son livre, M. Bizony mentionne d'ailleurs que la biographie officielle de Gagarine passait sous silence que sa mère provenait d'une famille d'ingénieurs de Saint-Pétersbourg, en d'autres mots qu'il était le descendant d'«ennemis du peuple».

Autre omission, les Soviétiques ont longtemps caché que Gagarine n'a pas atterri avec sa capsule Vostok. Il s'est éjecté en altitude, parce que les ingénieurs soviétiques n'avaient pas confiance dans le fait que le parachute de la capsule suffise à la ralentir. Son aventure spatiale n'est donc pas le premier vol d'un homme dans l'espace, selon certains critères techniques.

Mais pour Chris Hatfield, ce détail importe peu. «Pour moi, atterrir suspendu à un parachute ou dans un véhicule ralenti par un parachute, c'est la même chose.»

Alcool

Parmi ses faits d'armes, Gagarine a été invité à prendre le thé avec la reine d'Angleterre et a aussi été embrassé (sur la joue) par Gina Lollobrigida. Il a toutefois sombré dans l'alcool, eu plus de 20 accidents de voiture en moins de 7 ans et volé moins de 10 heures chaque année jusqu'à sa mort, le 27 mars 1968. Le Mig 15 qu'il pilotait après une autre nuit d'ivresse s'est écrasé sans raison apparente.

Une biographie récente, Starman: The Truth Behind the Legend of Yuri Gagarin, coécrite par Jamie Doran et Piers Bizony, met sa chute sur le compte de l'antipathie qu'éprouvait Leonid Brejnev envers Nikita Khrouchtchev. «Gagarine était l'homme de Khrouchtchev», explique M. Bizony.