Le premier homme dans l'espace, Youri Gagarine était détendu avant son décollage, plaisantant sur la vodka qu'il allait boire à son retour sur Terre, alors que le centre de contrôle lui demande de bien se nourrir, selon la retranscription du dialogue déclassifié cette semaine.

L'échange entre le premier cosmonaute et le père de l'astronautique soviétique, Sergueï Korolev, ce 12 avril 1961 est étonnamment cocasse compte tenu de l'évènement historique qui est sur le point de se dérouler, selon le texte de la conversation publié par le site lifenews.ru vendredi.

«Dans ton paquetage, tu as ton déjeuner, ton dîner et ton petit-déjeuner», rappelle Korolev à son protégé, «Tu as du saucisson, des dragées et de la confiture pour le thé. 63 morceaux. Tu vas devenir gros», poursuit-il.

«Dès que tu atterris, il faut que tu manges tout», insiste Korolev.

«Surtout le saucisson pour aller avec l'eau-de-vie!», répond Youri Gagarine. «Fichtre! Tout est enregistré, canaille!», plaisante en retour Korolev.

Mais la phrase la plus célèbre du héros national soviétique restera sans aucun doute son «Et c'est parti!», lancé tout juste après l'allumage des moteurs.

Ce dialogue fait partie de 700 pages de documents concernant Gagarine qui ont été déclassifiés vendredi en vue du 50e anniversaire de son vol dans l'espace le 12 avril.

Ces dossiers révèlent aussi que le premier cosmonaute de l'Histoire est mort le 27 mars 1968, aux commandes d'un MiG-15, sans doute en raison d'une erreur de pilotage commise alors qu'il tentait d'éviter une sonde atmosphérique.

Beaucoup d'improvisation...

Quatre ans après le lancement de Spoutnik, le premier satellite envoyé par l'homme dans l'espace, l'URSS voulait asseoir sa domination dans la course aux étoiles face à l'ennemi de la Guerre froide, les États-Unis.

Quoi de mieux, alors, qu'un homme en orbite? C'est chose faite le 12 avril 1961, et l'heureux élu est Youri Gagarine. Ce pilote de l'armée de l'Air âgé de 27 ans apprend seulement trois jours avant le décollage qu'il a été choisi parmi les 20 candidats à ce vol historique.

Malgré l'excitation, les ingénieurs soviétiques sont inquiets. Le programme spatial a été jonché d'accidents, et les morts nombreux. Et les risques d'une telle mission sont multiples et élevés. Parmi eux, une question à laquelle la science n'a pas encore répondu hante les Soviétiques: quels effets peut avoir l'apesanteur sur un être humain?

La mission est donc limitée à une seule orbite, et Gagarine devra s'éjecter en parachute car aucun système d'atterrissage n'a encore été mis en place. Le vol doit être entièrement automatisé, mais pour éviter que Gagarine prenne les commandes dans un excès de folie, les ingénieurs décident d'un code à trois chiffres nécessaire pour passer en manuel. Cette solution quelque peu archaïque, ne servira pas.

Réveillé à 5h30 en compagnie de sa doublure, German Titov, Youri Gagarine s'installe ensuite dans sa capsule, le Vostok, visiblement calme. Son coeur bat à 64 pulsations par minute, son pouls normal. «Ne t'inquiète pas, Sergueï Pavlovitch, tout ira bien», lance-t-il à Sergueï Korolev, l'ingénieur en chef qui, au contraire du pilote, n'a pas dormi de la nuit.

Après un problème de fermeture de la trappe (dont tous les écrous ont dû être remplacés à la va-vite), la fusée s'envole à 9h07 depuis le cosmodrome de Baïkonour, aujourd'hui au Kazakhstan, pour un vol orbital de 108 minutes. «Poïékhali!» (C'est parti), lance Gagarine.

Dès le début du vol, les ennuis commencent. Un signal avertit d'un problème de propulseur. Ce n'est en fait qu'une rupture de quelques secondes de la transmission des données. De là-haut, Gagarine donne des nouvelles rassurantes qui calme la tension au sol, et ce n'est qu'une fois la mission terminée que les ingénieurs s'apercevront qu'un défaut d'antenne a placé le Vostok sur une orbite beaucoup plus haute et risquée que celle initialement prévue.

Vient le moment du retour sur Terre. Un problème sur une rétrofusée entraîne une brusque rotation du Vostok. Le module d'atterrissage tarde à larguer celui de service. Au centre de commande, les ingénieurs retiennent leur souffle pendant la perte de contact radio avec Gagarine au moment de la traversée de l'atmosphère.

Finalement, la mission réussit. Comme prévu, Gagarine parvient à s'éjecter et se pose en parachute près de la Volga, à environ 720km au sud-est de Moscou. Il est repéré par une femme et sa petite-fille, d'abord effrayées par sa combinaison orange et son casque blanc.

Le cosmonaute, qui a été promu au grade de commandant pendant son vol, est sain et sauf. Le 14 avril, il est à Moscou, où il est reçu par le secrétaire général du Parti communiste, Nikita Krouchtchev. Il défile en héros dans les rues de la capitale sous les acclamations de la foule.

Sa légende est en marche, la propagande communiste aussi. Les caciques du Parti prennent les choses en main et revisitent le déroulement de cette mission qui doit faire date. La version officielle fait atterrir Gagarine à bord de sa capsule, et les articles des quelques journaux locaux affirmant avec raison qu'il a sauté en parachute sont saisis. Il est vrai que la Fédération aéronautique internationale (FAI) n'homologue les records que si le pilote touche le sol dans son appareil.

Quoi qu'il en soit, les Américains se réveillent sous le choc en apprenant la nouvelle, déjà relayée partout dans le monde. Le lendemain, les responsables de la NASA sont convoqués au Congrès, et sommés d'accélérer le programme spatial des Etats-Unis.

Premier succès 23 jours seulement après le vol de Gagarine. Le 5 mai 1961, l'Américain Alan Shepard devient le deuxième homme dans l'espace, mais pour une mission de seulement 15 minutes. Il faudra attendre le 20 février 1962 pour que John Glenn passe autant de temps que Gagarine dans l'espace.

Dès lors, la course aux étoiles s'accélère. Moins de trois semaines après le vol de Glenn, le président John Kennedy annonce que les Etats-Unis enverront un homme sur la Lune avant la fin de la décennie. Objectif atteint le 20 juillet 1969.

Gagarine, lui, ne verra pas Neil Armstrong fouler le sol lunaire. Il meurt dans l'accident de son MIG-15 dans une forêt le 27 mars 1968, à 34 ans.

- Selon AFP et Associated Press