Tom Kelly est considéré comme le père du module lunaire Eagle, qui a amené les premiers hommes sur la Lune, il y a 40 ans. Mais cet ingénieur, mort en 2002 à l'âge de 72 ans, restait modeste: selon lui, l'astronef était avant tout le fruit d'un travail d'équipe.

Thomas Kelly avait sous ses ordres près de 3.000 ingénieurs chez Grumman Aerospace à Bethpage (New York), un fournisseur de l'armée américaine aujourd'hui fusionné avec la firme Northrop. De 1962 à 1971, il a supervisé la conception et la construction d'une dizaine de modules lunaires, dont le fameux Eagle, qui a déposé Neil Armstrong et Edwin «Buzz» Aldrin sur la Lune, le 21 juillet 1969.

Né à Merrick, Long Island, dans une famille de la classe moyenne, Kelly se passionne dès le lycée pour l'ingénierie et décroche une bourse d'étude attribuée par Grumman, son futur employeur, pour s'inscrire à l'Université Cornell. Mais ce futur diplômé de l'Université Columbia et de l'Institut de technologie du Massachusetts (MIT) n'a pas encore la tête dans les étoiles. Sa passion pour l'espace ne naît qu'en 1957, avec le lancement par les Soviétiques de Spoutnik, premier satellite artificiel en orbite autour de la Terre.

La promesse en 1961 du président John Kennedy d'envoyer un «homme sur la Lune» avant la fin des années 60 ne fera que renforcer son intérêt pour cette «nouvelle frontière». Employé à 30 ans chez Grumman, Kelly dessine d'abord les plans d'un observatoire orbital, ancêtre du télescope spatial Hubble. Au début des années 60, on le charge d'étudier le programme lunaire de la toute jeune NASÀ pour voir s'il n'y a pas là un marché à saisir. Il commence son travail avec un ingénieur, puis 10, puis 30. Fin 1962, Grumman Aerospace remporte l'appel d'offres pour construire le module lunaire.

Le programme lunaire a accaparé la vie de Tom Kelly pendant huit ans. Sa femme, Joan, spécialiste de littérature anglaise, s'est montrée compréhensive, car «c'était le travail le plus passionnant du siècle», assurait-elle en 1999.

«Nous devions inventer», a expliqué l'ingénieur. Le module Eagle de forme arachnéenne ne devait pas peser trop lourd, seulement 16 tonnes. Il avait une silhouette trapue avec ses 8,80 mètres de large et presque autant de haut. Mais il était fragile, ses parois n'étant par endroit pas plus épaisses que quatre feuilles d'aluminium.

Son succès résidait dans ses systèmes de secours, tous testés à maintes reprises par l'équipe de Kelly. Sur les 14 000 problèmes recensés sur le module au cours d'essais, seuls 22 n'ont jamais été expliqués.

Près de 3000 ingénieurs et plus de 7000 personnes en tout ont travaillé à la mise au point des modules lunaires, sans savoir au début sur quel genre de sol se poserait l'échelle d'Armstrong le 21 juillet 1969. «On apprenait en les construisant», se souvient Dick Dunne, 73 ans, à l'époque responsable des relations publiques pour Grumman.

Pour l'alunissage, l'équipe de Kelly avait en quelque sorte construit deux modules. L'étage inférieur du LM (appelé LEM dans les premières années), appelé étage de descente, avec ses pattes d'araignée, a amené Armstrong et Aldrin sur le sol lunaire et leur a fourni un refuge pendant qu'ils marchaient, réalisaient des expériences et ramassaient des roches. La partie supérieure, ou étage de montée, consistait en un petit vaisseau qui a permis aux astronautes de regagner ensuite le module de commande en orbite à 100km de la Lune.

Il n'existait pas deux modules lunaires identiques, ce qui impliquait un travail permanent. Les trois derniers LM pesaient deux tonnes de plus que leurs prédécesseurs, par exemple. Comme les fusées devenaient plus efficaces, les modules pouvaient porter davantage de matériel et disposer de davantage d'air et de puissance pour l'exploration. Les modèles les plus tardifs prévoyaient la place pour une sorte de voiturette lunaire et davantage d'espace pour ramener des roches lunaires sur la Terre.

Cependant, souligne l'ingénieur John Devaney, 74 ans, la capacité totale des ordinateurs d'un alunisseur était inférieure à celle d'un téléphone mobile aujourd'hui...

Au «Cradle of Aviation» Museum de Garden City, dans l'État de New York, on peut encore voir le LM-13, l'un des trois alunisseurs construits mais jamais lancés, le programme Apollo ayant été victime des restrictions budgétaires. Un total de six modules ont transporté 12 astronautes sur la surface de la Lune. Un septième a joué un rôle crucial dans l'opération qui a permis de ramener sur Terre les trois hommes d'Apollo 13 après l'explosion d'un réservoir d'oxygène en 1970.