Les lumières de la ville rendent la nuit de moins en moins noire, perturbant astronomes et animaux, une «pollution lumineuse» contre laquelle savants et politiques se sont insurgés lors d'une soirée mardi à l'observatoire de Meudon.

En 1876, les astronomes avaient choisi le site de Meudon pour y installer l'observatoire afin de «bénéficier de la faible densité de l'éclairage urbain dans cet endroit», rappelle Daniel Egret, président de l'Observatoire de Paris.Aujourd'hui, ils privilégient des sites situés le plus loin possible de la pollution lumineuse des villes, sur la cordillère des Andes au Chili ou à Hawaï.

Et pour cause: mardi soir, au télescope de Meudon, on ne voyait rien du tout, en raison du ciel nuageux mais aussi du «halo lumineux».

Provoqué par l'éclairage artificiel urbain, il entraîne tout au long de l'année une espèce de brouillard jaunâtre très visible depuis la grande terrasse panoramique de l'observatoire surplombant Paris.

En France, le ciel devient de plus en clair au fur et à mesure qu'on se rapproche de Paris. Ainsi à Versailles, «la moitié des étoiles ont disparu du ciel nocturne en 20 ans», constate l'astrophysicien Jean-Paul Zahn.

Des photos satellitaires révèlent la progression spectaculaire des zones éclairées en permanence la nuit avec l'extension des mégapoles.

Selon l'atlas mondial Cinzano de la clarté artificielle du ciel nocturne, les halos lumineux progressent de 5% par an en Europe et masquent aujourd'hui la vision de 90% des étoiles dans les métropoles.

«Nous avons deux sphères - la sphère terrestre et la sphère céleste - et on nous prive peu à peu de la deuxième», s'insurge l'astrophysicien André Brahic, déplorant ce «gâchis culturel».

Les astronomes plaident pour la préservation de coins de ciel noir: «on pourrait créer une réserve de ciel noir autour de l'observatoire du Pic du midi», suggère François Colas, chercheur en CNRS. Il s'agirait de signer des chartes avec les communes avoisinantes pour une modification de leurs systèmes d'éclairage nocturne.

«On n'a pas actuellement de réglementation sur la pollution lumineuse. D'autres pays en ont, mais en France on est en retard», reconnaît Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État à l'Ecologie, venue visiter l'observatoire.

Un projet de loi visant à limiter la pollution lumineuse est cependant prévu dans le cadre du Grenelle de l'Environnement.

«Il y a quinze ans qu'on milite et ça commence à porter», estime Paul Blu, président de l'Association nationale pour la protection du ciel nocturne (ANPCN).

La ligue Roc pour la protection de la faune sauvage exprime également son ras-le-bol du «trop plein de lumières qui polluent notre ciel nocturne».

Car les animaux sont les premières victimes de cette lumière artificielle. Les oisaux migrateurs, habitués à se diriger avec les étoiles, sont attirés par les halos lumineux et sont désorientés par les phares en mer, explique Marc Théry, chercheur au CNRS. «Chaque année, plus de dix millions d'oiseaux migrateurs meurent ainsi aux États-Unis», ajoute-t-il.

Et l'homme également pourrait en pâtir, selon le docteur Jean-François Doré, de l'Agence sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset).

«Le cancer du sein est probablement favorisé chez les personnes qui travaillent de nuit», indique-t-il.

Sans parler du gâchis énergétique: l'Agence de l'Environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) estime qu'on pourrait faire environ 40% d'économies sur les dépenses d'éclairage public en modifiant quelque peu les installations actuelles.