La scientifique Marie-Ève Maillé n'aura pas à dévoiler le contenu de ses recherches à une entreprise privée. Dans une décision qui était très attendue par la communauté scientifique, le juge Marc St-Pierre, de la Cour supérieure, a rétracté hier le jugement qu'il avait lui-même rendu et qui obligeait Mme Maillé à remettre les données recueillies pour sa thèse de doctorat à l'entreprise Les Éoliennes de l'Érable.

« C'est un grand soulagement, s'est exclamée Mme Maillé en entrevue. J'ai appris à appréhender les surprises au cours de la dernière année et demie et il pourrait toujours y en avoir, mais j'ai l'impression que ça ressemble beaucoup à la fin de l'histoire. »

Pendant son doctorat, Marie-Ève Maillé avait documenté la division sociale provoquée par l'installation du Parc éolien de l'Érable, dans les municipalités de Saint-Ferdinand et de Sainte-Sophie-d'Halifax. En 2014, un groupe de citoyens de la région a intenté un recours collectif contre le promoteur du projet, Les Éoliennes de l'Érable. L'avocat des citoyens a voulu faire comparaître Mme Maillé comme témoin expert, ce qui a amené le juge St-Pierre à ordonner qu'elle remette ses données de recherche à l'entreprise pour que celle-ci prépare sa défense.

Or, ce matériel contenait des entrevues avec les citoyens dans lesquelles ceux-ci évoquaient les chicanes de voisins provoquées par l'arrivée des éoliennes. Certains y proféraient même des menaces envers d'autres résidants. Mme Maillé a refusé de remettre les témoignages, plaidant que cela trahirait la confiance des participants qui s'étaient adressés à elle sous le sceau de la confidentialité.

L'affaire a interpellé la communauté scientifique, si bien que Mme Maillé a reçu en Cour l'appui de l'UQAM, du scientifique en chef du Québec et de l'Association canadienne des professeures et professeurs d'université.

« CETTE DÉCISION FERA JURISPRUDENCE »

Dans sa décision rendue hier, le juge St-Pierre reconnaît l'engagement de confidentialité qui liait la chercheuse aux citoyens interrogés et affirme que cette confidentialité était « essentielle » à l'obtention des témoignages. Le juge évoque aussi la « nécessité de soutenir la recherche scientifique » et conclut que la protection de la confidentialité l'emporte ici sur les avantages qu'aurait entraînés la divulgation des renseignements.

« Nous n'avons pas encore pris connaissance de la décision du juge, et étant donné que le recours collectif dans lequel fait partie cette décision du juge est toujours en cours, nous préférons nous abstenir de tout commentaire par respect envers le processus judiciaire », a fait savoir à La Presse Sébastien Verzeni-Foubert, directeur d'Enerfin Canada (qui détient l'entreprise Les Éoliennes de l'Érable).

« Je salue la décision rendue [hier]. Elle réaffirme un principe fondamental de la recherche, et ce, dans l'intérêt général de la population qui bénéficie des retombées de la science », a commenté le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion.

« Nous sommes extrêmement heureux. Cette décision fera jurisprudence et va bien au-delà du cas de Mme Maillé », a ajouté Catherine Mounier, vice-rectrice à la recherche et à la création à l'UQAM, en entrevue avec La Presse.

Marie-Ève Maillé a tenu à souligner que sa bataille n'aurait pas été possible sans l'aide de l'organisme Pro Bono Québec, qui lui a fourni des services juridiques gratuits.

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La chercheuse Marie-Ève Maillé