C'est un peu comme si le béluga vu dans le port de Montréal le mois dernier était venu en éclaireur. L'océan, vaste, mystérieux et puissant, débarque à Montréal cette semaine le temps d'un colloque unique qui se veut une passerelle entre les scientifiques et le public. La Presse a interviewé Maurice Levasseur, océanographe et directeur général de Québec-Océan, le réseau de recherche en océanographie qui organise cet événement.

Q Quelle est votre spécialité?

R Je suis titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les relations plancton-climat, créée en 2002. Mes recherches portent sur les relations entre l'océan et l'atmosphère. Je m'intéresse aux émissions de diméthylsulfure (DMS). Ce gaz est produit par les algues et il s'échappe rapidement dans l'atmosphère où il s'oxyde et se transforme en sulfate. Il influence le climat, car il contribue à la formation des nuages qui réfléchissent les rayons du soleil et qui refroidissent l'atmosphère. C'est un phénomène découvert entre autres par James Lovelock, auteur de l'hypothèse Gaïa.

Q Quels impacts ont les océans sur nos vies?

R Les gens pensent spontanément aux transports: 90% des marchandises transitent par les océans. Ils voient aussi les océans en termes de loisirs et de pêcheries. Mais ce que les gens ne voient pas, c'est par exemple la capacité des océans d'absorber le gaz carbonique (CO2). C'est un service qu'ils nous rendent: ils ont absorbé 30% du CO2 émis depuis le début de l'ère industrielle. Mais le prix à payer, c'est que les océans s'acidifient. Dans l'eau, le CO2 se transforme en acide carbonique. Et ce phénomène va se continuer pendant plusieurs centaines d'années, même si on arrête complètement d'émettre du CO2. Avec des conséquences sur tous les organismes qui calcifient, qui forment des coquilles ou des squelettes en calcium. Maintenant, les scientifiques se demandent si la capacité d'absorption des océans est en train d'augmenter ou de diminuer.

Q Où en sont nos connaissances sur les océans?

R Elles sont très limitées. On a un système qu'on comprend mal et qui, en plus, est en mutation. Par exemple, quel impact l'acidification des océans ou le réchauffement auront-ils sur la production de diméthylsulfure? Impossible pour l'instant de le savoir, même si on a fait des expériences de courte durée au cours des dernières années, dans le Pacifique et dans l'estuaire du Saint-Laurent.

Q Que pensez-vous des récentes coupes fédérales dans les laboratoires de Pêches et Océans Canada?

R En tant que scientifique, le message qu'on lance, c'est qu'on ne connaît pas notre environnement et que ce n'est pas le temps de faire des coupes là-dedans. Il faut que les Québécois se rendent compte qu'il y a des océanographes au Québec, il y a une expertise et toute une relève. Il y a des étudiants passionnés qui voient qu'on fait des coupes là-dedans, ça crée une démotivation.

Q Le gouvernement a affirmé que des consortiums universitaires pouvaient prendre la relève des scientifiques gouvernementaux. Qu'en pensez-vous?

R C'est totalement faux. On manque cruellement de suivi et c'est seulement les ministères qui peuvent assurer ce suivi. Les universités font de la recherche de pointe et forment des étudiants. C'est leur mission. On est complémentaires aux chercheurs gouvernementaux. Je publie toujours avec mes collègues de MPO [ministère des Pêches et Océans]. Mais de dire que les universités peuvent faire du suivi, c'est faux et ce serait dommage que les universitaires embarquent dans ce discours pour obtenir des subventions.

Q Comment se porte l'océanographie au Québec?

R La recherche concertée en océanographie existe depuis 40 ans. On est vraiment reconnus dans le monde pour cela. Québec-Océan existe depuis 10 ans. On regroupe 64 chercheurs et on a toujours 120 chercheurs étudiants en plus. Cette année, pour nos 10 ans, on a décidé de se rapprocher du public québécois et d'essayer d'expliquer les grands enjeux, pour faire comprendre l'importance des océans dans nos vies. Pour nous, c'est important d'inviter le public à notre soirée-conférence jeudi soir [demain], avec Boucar Diouf, qui est formé en océanographie, Louis Fortier, qui est un conférencier extraordinaire, et Mylène Paquette, qui a traversé l'Atlantique à la rame. On a 400 places et on espère les remplir. C'est gratuit!

«L'heure juste sur la santé des océans», colloque de Québec-Océan, hôtel Omni Mont-Royal, 7 au 9 novembre. www.quebec-ocean.ulaval.ca