La technologie médicale permet maintenant de contrôler un ordinateur avec le regard. Et un chercheur français promet de réduire considérablement le coût de ces appareils.

Jean Lorenceau est arrivé à écrire avec ses yeux par pur hasard. Le chercheur parisien était en train de calibrer un appareil pour ses recherches sur les liens entre les yeux et le cerveau. Il a remarqué que ses propres yeux avaient des saccades qui étaient enregistrées à l'écran. Et il s'est demandé s'il pourrait contrôler ces saccades.

«J'ai réalisé qu'on pouvait apprendre à faire des mouvements lisses avec son oeil», explique le chercheur du Centre national de la recherche scientifique, en entrevue depuis la banlieue parisienne, où il passe ses vacances. «C'est un talent comme un autre, qu'on peut développer. Certaines personnes ont plus d'aptitudes que d'autres. Il faut éliminer de la conscience tout ce qui se passe quand les yeux bougent.»

Son étude, publiée dans la revue Current Biology, fin juillet, décrit six patients qui sont arrivés à écrire des lettres sur un ordinateur avec leurs yeux. «Certains n'ont eu besoin que de deux ou trois séances pour apprendre à le faire. D'autres avaient encore de la difficulté après cinq ou six séances. Mais je crois qu'on pourra se servir de cette approche pour améliorer la coordination oculomotrice des gens qui en ont beaucoup besoin, par exemple dans les métiers de précision, ou alors pour les ceux qui sont paralysés et qui ne peuvent plus parler.»

Traiter le déficit d'attention

Les appareils actuels permettant de contrôler un ordinateur avec ses yeux, et donc de communiquer, ont un coût prohibitif parce que les caméras doivent bien cerner la direction du regard: le paralytique regarde une lettre sur un clavier apparaissant à l'écran, par exemple. La technique de M. Lorenceau est beaucoup moins chère, quelques centaines d'euros, parce que la caméra ne fait que suivre le mouvement de la pupille. De plus, des lettres «oeilluscriptes» pourraient sembler plus personnalisées, souligne-t-il.

Le chercheur français pense même que l'entraînement de l'oeil à former des mouvements lisses sera utile pour le traitement du déficit d'attention. «Il y a un lien entre le comportement oculaire et les neurones. Si on arrive à mieux orienter et contrôler les yeux, on contrôle mieux les neurones.» Une technique similaire, le neurofeedback, est en ce moment testée par l'Institut national de la santé des États-Unis pour le traitement du déficit d'attention chez les patients réfractaires à la médication.

M. Lorenceau va maintenant concevoir un prototype avec une petite entreprise et un chercheur en informatique, et le tester sur des patients. Il veut notamment un logiciel qui reconnaît des lettres mal tracées. Il s'est aussi associé avec le peintre Michel Paysant, qui fait depuis quelques années des tableaux avec ses yeux: M. Paysant utilise les systèmes actuels de suivi du mouvement des yeux, avec l'aide d'un hôpital de recherche parisien.

Une technologie coûteuse

Les appareils de communication à l'aide des yeux ont été inventés voilà presque d'un quart de siècle. Mais leur coût demeure prohibitif, environ 10 000$.

« Je pense qu'il y en a moins de 100 000 dans le monde, tous pays confondus », estime Nancy Cleveland, l'une des fondatrices de LC Technology, une entreprise de la Virginie qui est l'une des deux principales sociétés dans le domaine. «Ça nous a pris 15 ans pour atteindre les 1000 exemplaires vendus, et nous avons régulièrement des problèmes avec nos distributeurs.» L'autre grande firme, Tobii, est scandinave et compte 3000 clients en Amérique du Nord (aucun au Québec).

En 2005, un regroupement européen de chercheurs du domaine, Cogain, estimait qu'il y avait environ 2000 appareils du genre sur le continent, principalement utilisés en recherche. Des chercheurs de l'Institut neurologique de Montréal, par exemple, utilisent cette technologie, mais l'un d'entre eux ignorait qu'elle servait aussi à aider des paralytiques à communiquer quand La Presse l'a contacté la semaine dernière.

« Nous avons une version du Mytobii, explique Marie-Paule Gagné, ergothérapeute au programme d'accès aux technologies du centre de réadaptation Constance Lethbridge.Mais malheureusement, le gouvernement préconise toujours les aides technologiquesles moins coûteuses pour des prêts aux clients. Donc, à ma connaissance,aucune personne au Québec n'utilise cette technologie.»

À la Société Lou-Gehrig du Québec, la responsable des communications indique avoir déjà eu un membre qui se servait de cette technologie. Cette maladie autrement appelée la sclérose latérale amyotrophique (SLA) fait partie des groupes ciblés par LC Technology, selon Nancy Cleveland.