«La science commence réellement maintenant»: en deux ans, l'expédition Tara Océans a permis une collecte «extrêmement riche» d'échantillons de micro-organismes peuplant les océans du globe, et l'exploitation de ces données prendra des années, selon les scientifiques.

«Au début, on était un peu pris pour des vagabonds», a déclaré Etienne Bourgois, co-directeur de l'expédition partie de Lorient en septembre 2009, lors d'une conférence de presse mercredi.

Deux ans plus tard, la goélette Tara a pu en 630 jours de mer réaliser des prélèvements dans 133 points des océans du globe. Les échantillons collectés et filtrés en fonction de leur taille, des virus au plancton, fournissent un «inventaire bio-géographique» d'une vie marine microscopique jusque là méconnue, selon Eric Karsenti, co-directeur scientifique de Tara Océans.

Cela donne «une vision instantanée de la façon dont les organismes changent en fonction de l'environnement», précise ce responsable d'une unité de recherche au Laboratoire européen de biologie moléculaire (EMBL) de Heidelberg en Allemagne.

«On remet la biologie dans son contexte», a ajouté André le Bivic, directeur-adjoint de l'Institut des sciences biologiques du CNRS, à l'occasion de ce nouveau bilan.

«La science commence réellement maintenant : il faudra des années, a-t-il dit, pour déchiffrer et comprendre les données biologiques, physiques et chimiques» issues de la collecte de coraux, plancton, bactéries, virus et autres micro-organismes marins.

Les récifs coralliens représentent 0,1% de la surface des océans, mais 30% de la biodiversité marine connue, a souligné Stéphanie Reynaud du centre scientifique de Monaco.

L'objectif est d'essayer de comprendre les écosystèmes marins et de «prédire» comment ils vont s'adapter, «se repositionner en fonction du changement climatique», modifiant notamment la circulation des courants, a rappelé M. Karsenti.

Les lieux de collecte sont sélectionnés grâce à des informations satellitaires, détectant zones de brassage d'eaux chaudes et froides et autres sites d'intérêt en fonction de la salinité ou de la température des océans.

«Il faut, dit-il, être au bon endroit au bon momment», en «jouant avec la méteo» pour que la collecte soit possible.

Un nombre «colossal de nouveaux virus géants» est à découvrir: il y a «entre 1 et 100 millions de virus géants par litre d'eau de mer», a-t-il souligné.

Le plancton, base de la chaîne alimentaire océanique, multitude invisible des océans, est très mal connu, bien qu'il représente 80% de la vie des la planète.

L'analyse génétique des échantillons collectés, même si elle a commencé avec «un certain retard», a relevé le directeur du Génoscope d'Evry Jean Weissenbach, a déjà permis d'identifier 6,6 millions de gènes, en majorité inconnus, correspondant à des fragments de protéines (peptides).

Il y a «une nouveauté absolument gigantesque dans ce qu'on a séquencé», a-t-il souligné.

L'analyse n'a pourtant porté que sur les échantillons de plancton prélevés dans la Méditerrannée en trois points (au large de Chypre, Adriatique, près du détroit de Gibraltar).

Comment séquencer la totalité de la collecte en 133 points du globe? «C'est un travail gigantesque, on ne voit pas comment y arriver», avoue-t-il.

Il faudrait, selon lui, des financements supplémentaires et une nouvelle génération de machines de séquençage et de stockage de données. Sinon, «il va falloir faire des choix», a-t-il prévenu.

La goélette Tara, actuellement dans le port américain de San Diego pour changer la voile et un moteur, doit achever son périple le 31 mars prochain à Lorient.