Une plante carnivore asiatique qui attire ses proies dans un piège lubrifié a inspiré à des chercheurs un nouveau matériau révolutionnaire capable de repousser à la fois l'eau, les hydrocarbures et le sang tout en se réparant lui-même en cas de besoin.



La feuille de lotus était déjà devenue légendaire pour sa capacité à émerger immaculée des eaux les plus fangeuses. L'arrivée du microscope électronique, dans les années 1970, avait permis aux botanistes de constater que le lotus devait cette propriété «hydrophobique» à la structure de sa feuille. Celle-ci est recouverte de minuscules papilles piégeant de l'air, qui empêche donc l'eau de s'y «coller» et fait rouler les gouttelettes et la saleté le long de sa surface.

Un mécanisme rudimentaire en apparence qui aura tout de même requis une vingtaine d'années pour être transféré vers des applications industrielles, comme des peintures, des vitres et des tissus dit «auto-nettoyants».

La tâche est encore plus compliquée lorsqu'il s'agit de concevoir des surfaces empêchant l'adhésion de liquides organiques visqueux, l'huile et les hydrocarbures par exemple. L'enjeu est pourtant énorme dans un grand nombre de domaines, comme l'optique, la construction d'engins microscopiques et la biologie médicale.

Des chercheurs de l'Université de Harvard (USA) dirigés par Tak-Sing Wong ont peut-être trouvé la solution en observant une famille de plantes carnivores du sud-est asiatique, les nepenthes.

Les feuilles de ces plantes, dont on a recensé plus de cent espèces, ont la particularité de former des urnes remplies d'un liquide digestif. Attirés par les couleurs vives et le nectar sucré des nepenthes, les insectes se posent à l'intérieur de l'urne, recouverts d'une surface lubrifiée. Incapables de remonter, ils glissent alors au fond de l'urne où ils sont digérés.

Contrairement à la feuille de lotus qui utilise l'air pour repousser directement l'eau, la surface interne des nepenthes est recouverte d'un liquide créant un film régulier et continu. Et c'est ce film aqueux qui repousse à son tour les autres liquides, explique M. Wong dans une étude publiée mercredi par la revue scientifique Nature.

En s'inspirant de cette trouvaille de la nature, les auteurs ont mis au point un matériau spongieux rempli d'un fluide lubrifiant, baptisé SLIPS (littéralement «glisse»), qui repousse aussi bien l'eau que les liquides organiques, comme le sang et le pétrole brut.

Contrairement à l'effet lotus, ces propriétés lubrifiantes ne sont pas étroitement liées à la microstructure de la surface et cette technique pourrait donc être utilisée sur des matériaux faciles à produire et peu coûteux, par exemple une membrane de Teflon, assurent les chercheurs.

Avantage supplémentaire, le SLIPS peut résister à de fortes pressions et il est capable de se «réparer» tout seul lorsque le matériau poreux est endommagé par un impact ou l'usure, en recréant un film lubrifiant à sa surface, souligne dans un commentaire séparé Michael Nosonovsky, du département d'ingénierie de l'Université du Wisconsin à Milwaukee.

Cette découverte pourrait conduire à de multiples applications en médecine, dans le transport de carburants ou en aéronautique (revêtements antiglace).

Selon M. Nosonosvky, il faudra toutefois poursuivre les recherches, le prototype de SLIPS n'ayant encore qu'une durée de vie très limitée.