Quelles curiosités nous réserve l'avenir? Le journaliste et essayiste Mathieu-Robert Sauvé survole des prédictions dans son nouveau livre, Le futur prêt-à-porter: comment la science va changer nos vies.

Q: Vous rapportez plusieurs prédictions loufoques de scientifiques pourtant très crédibles. Par exemple, en 1896, Lord Kelvin assurait que les machines plus lourdes que l'air étaient impossibles. Prédire l'avenir n'est pas une science exacte. Pourquoi est-ce si difficile?

R: Ceux qui imaginent l'avenir sont habituellement des maniaques de technologies. Ils oublient de considérer le facteur humain. Un exemple parmi tant d'autres: en 1966, le US World&News Report prédisait que la faim dans le monde disparaîtrait avant les années 80. Mais la faim n'est pas qu'un simple problème technique. À cette époque, on parlait aussi de la société des loisirs...

Q: L'avenir était idéalisé. Nous avons depuis basculé à l'autre extrême. On parle maintenant plus de dystopie que d'utopie. Pourquoi?

R: Après l'optimisme qui régnait depuis la révolution industrielle, il y a effectivement eu un ressac à partir des années 70. Une des raisons, c'est qu'on a pris conscience des limites de nos ressources. L'environnement est devenu une source de crainte. Cela s'observe dans la culture populaire, avec les films catastrophistes. Il ne faudrait toutefois pas oublier que la multiplication vertigineuse des connaissances rend aussi notre époque formidable.

Q: Vous citez des gens qui croient qu'on copulera peut-être un jour avec des robots. Est-ce vraiment sérieux?

R: Nous n'en sommes pas si loin! La sexualité virtuelle existe déjà. Dans une expérience récente à l'Université de Montréal, on n'a pas réussi à former un groupe témoin de gens qui n'avaient jamais consulté de pornographie sur l'internet. On peut aussi acheter des poupées grandeur nature qui parlent et gémissent quand on les touche. C'est un objet de luxe qui coûte environ 8000$. Et il s'agit seulement de la première génération. Je suis convaincu que ça va se développer. Cela nous force à repenser la sexualité. Est-elle détachable des relations affectives et amoureuses?

Q: Une découverte ressemble même un peu à l'«orgasmotron» imaginé par Woody Allen.

R: Oui. C'est une découverte accidentelle d'un anesthésiste américain. En plaçant des électrodes près de la moelle épinière d'une femme, il a réussi à lui donner des orgasmes. Il a breveté la découverte. Qui sait... Peut-être que dans les réceptions à Outremont, les gens pourront un jour prendre leur apéro et se donner des orgasmes sans se toucher. N'oubliez pas que les entreprises investissent beaucoup dans ce genre de découverte. C'est plus rentable que de s'attaquer au paludisme, malheureusement.

Q: Parlons de la singularité technologique - le moment où l'intelligence artificielle dépassera l'intelligence humaine et où on ne la comprendra plus. Certains soutiennent que c'est inévitable, car le pouvoir de l'informatique augmente à une vitesse exponentielle. Est-ce votre avis?

R: Selon les lectures et interviews que j'ai faites, je pense que oui. Qu'arrivera-t-il après? Votre opinion vaut la mienne. On assistera à un véritable déblocage, on ouvre une porte sur un monde nouveau.

R: Où sommes-nous rendus avec les robots?

Q: Tout d'abord, précisons que les robots prennent des décisions. C'est ce qui les distingue de l'informatique. Le robot Asimo a déjà dirigé l'Orchestre symphonique de Detroit. J'ai eu la chance de le voir à une autre occasion. C'était troublant de le voir monter les escaliers et servir du café. Il a une forme presque humaine, ce qui n'est pas le cas de la majorité des robots. Ils peuvent aussi prendre la forme de plaquettes sur des machines. Les robots pourraient permettre de nous remplacer pour les boulots routiniers et diminuer le risque d'erreur. D'ailleurs, étymologiquement, «robot» peut signifier «esclave» ...

Q: Le futurologue Ray Kurzweil croit que la science permettra de vaincre la mort. Qu'en pensez-vous?

R: C'est ridicule. Une forme de cartésianisme extrême. On coche une à une les principales maladies qui deviennent guérissables, puis on pense qu'il n'y aura plus de causé de décès. Cela pose tout de même une question intéressante. Imaginons une personne dont tous les membres et organes sont brisés après un grave accident de voiture. Seul son cerveau fonctionne. Si on réussit à la placer à temps dans un incubateur et qu'il continue de générer des pensées, l'individu est-il mort? Rappelez-vous que notre définition de la mort a changé. Elle survient quand l'activité cérébrale cesse, et non quand le coeur cesse de battre. Mais est-ce souhaitable? Je ne crois pas. Les humains sont faits pour être mortels et doivent le demeurer.

Q: La médecine se personnalisera-t-elle?

R: C'est déjà commencé. En oncologie et en cardiologie, des traitements sont adaptés au profil génétique. En plus de la pharmacogénomique, on assiste aussi à la progression de la nutrigénomique. Par exemple, les pamplemousses rouges ou les oméga-3 peuvent être très bons pour vous tout en ayant un effet limité sur moi.

Q: Si la futurologie est si hasardeuse, comme le démontre notre incapacité à prédire l'avenir, en quoi est-elle pertinente?

R: Elle nous force à élargir notre vision étroite. Et elle permet aussi d'éviter la technoscience, la science qui suit ses propres finalités, sans être remise en question. Cela force une réflexion nécessaire.