BOB, le robot qui vient d'être immergé au large d'Istanbul - une ville de 15 millions d'habitants sous la menace d'un séisme majeur - permettra-t-il un jour de prévoir ces catastrophes ? C'est ce qu'espèrent les chercheurs français qui mènent l'expérience.

C'est une grosse boîte cubique posée sur le pont arrière du Suroît, un navire océanographique de l'Institut français pour l'exploitation de la mer (Ifremer) qui croise en mer de Marmara, à une quinzaine de kilomètres d'Istanbul, devant la découpe bleu foncé des îles des Princes.

Le week-end dernier, une grue a descendu l'engin par 1200 mètres de fond.

BOB (Bubbles OBservatory module) est un sonar tournant sophistiqué, qui rappelle les équipements qui détectent les bancs de poisson. Mais sa mission, qui se poursuivra jusqu'au 14 décembre, consiste à observer les bulles de gaz, notamment du méthane, qui s'échappent des failles.

«On sait qu'après les tremblements de terre, il y a d'importantes émissions de gaz. Ce qu'on voudrait savoir, c'est si de tels dégazages ont lieu avant, s'il y a des variations d'émissions avant les séismes, qui serviraient d'alerte», explique le géophysicien Louis Geli (Ifremer).

Carte en main, il montre la menace qui pèse sur Istanbul.

A l'extrémité est de la mer de Marmara se trouve la faille des séismes d'Izmit, qui avaient fait au moins 20 000 morts en 1999. A l'extrémité ouest de la même étendue d'eau se trouve la faille de Ganos, où un séisme important est survenu en 1912.

«Entre ces deux failles, rien n'a bougé depuis 1766. C'est ce segment qui est le plus dangereux.»

«Etant donné que les plaques bougent d'un peu plus de deux mètres par siècle, on peut s'attendre à un décalage de deux à cinq mètres sur une longueur d'au moins 80 km, avec une magnitude de 7,2 à 7,4, un très gros séisme», ajoute son collègue du CNRS, Pierre Henry.

«Mais on ignore quand il se produira», ajoute-t-il.

Et, complète Sükrü Yurtsever, géophysicien turc embarqué sur le Suroît, «l'effet tsunami pourrait être important», du fait des fortes pentes de la mer de Marmara.

L'inquiétude des stambouliotes est réelle, dans une ville aux nombreuses constructions vétustes.

Un commerçant de Bostanci, sur la rive asiatique de la ville, expliquait récemment à l'AFP qu'il a stocké chez lui un kit de secours: sifflet, lampe torche, eau, biscuits, trousse médicale.

Et qu'il a fait avec sa femme des exercices d'évacuation. Meilleur temps: 13 secondes.

«Chaque fois qu'il y a un petit séisme, l'inquiétude revient, on le voit dans la presse, à la télévision. Cette menace est la cause de nombreux problèmes psychologiques», estime Sinan Özeren, de l'Université technique d'Istanbul, venu lui aussi s'informer sur cette mission.

Pour mener cette campagne baptisée Marmesonet, l'Ifremer a déployé sur le Suroît une batterie d'outils, qui viennent compléter BOB.

Un sous-marin inhabité explore les fonds, et permet d'effectuer des cartes «en haute résolution», selon l'acousticienne Carla Scalabrin. Des sismographes immergés et des sonars fixes complètent le dispositif, notamment pour détecter les «cheminées» de bulles.

L'objectif de ces travaux, menés dans le cadre du réseau européen ESONET en collaboration avec la Turquie, est l'implantation d'observatoires sous-marins permanents devant Istanbul.

Le Japon, les Etats-Unis et le Canada mettent également en place des stations d'observation sismique et pour l'environnement, sur différents points du globe.

«Pour l'instant, on ne sait pas prévoir les séismes», prévient M. Henry. «On est un peu dans la situation du météorologue avec un an de données, à qui on demande quand se produira une tornade.»