Le monde est beaucoup plus vulnérable qu'on ne le pense à la guerre bactériologique. Les vaccins sont plus ou moins efficaces contre plusieurs agents naturels, et les progrès de la biologie permettent d'envisager des microbes mutants, voire une version transmissible par voie aérienne du VIH.

Tel est le constat alarmant que pose Patrick Berche, microbiologiste français qui vient de publier L'histoire secrète des guerres biologiques et donne ce soir une conférence sur le sujet à l'Université de Montréal.

«Il n'y a plus de contrôle sur les recherches militaires bactériologiques en Russie et aux États-Unis, affirme le Dr Berche, qui est professeur de microbiologie à l'Université Paris-Descartes. Il est possible que nous ayons à combattre des microbes que nous aurons nous-mêmes créés.»

Le plus inquiétant, selon le microbiologiste parisien, est la possibilité de mélanger plusieurs microbes en laboratoire, une pratique déjà courante dans les milieux industriels. Il pense qu'un VIH aérosolisé est «hypothétique, mais envisageable».

Karl Weiss, microbiologiste à l'hôpital Maisonneuve Rosemont, à qui La Presse a soumis l'hypothèse du Dr Berche, estime qu'une telle modification du VIH serait «une prouesse qui nous plongerait dans le XXXIe siècle».

Dans son livre, le Dr Berche fait une description détaillée de nombreux événements avérés de guerre bactériologiques, notamment les incroyables avancées soviétiques qui sont parvenus à créer un bacille du charbon résistant aux vaccins, mais aussi de rumeurs.

Par exemple, il avance qu'il est possible que les autorités militaires britanniques aient inoculé la variole à des civils de Québec en 1775 pour contaminer l'armée américaine qui assiégeait la ville. Il avance aussi que les Soviétiques pourraient avoir contaminé la Wehrmacht avec la tularémie en 1942, à Stalingrad, ce qui rendrait la guerre bactériologique responsable de l'un des tournants majeurs de la guerre. Enfin, les Américains semblent avoir largué des animaux atteints de la peste et de la maladie du charbon en 1952, en Chine et en Corée du Nord.

Son allégation la plus spectaculaire, cependant, est l'existence d'un complot militaire responsable des attaques au bacille du charbon à l'automne 2001.

«J'ai rencontré Bruce Ivins, le suspect présumé, en 1998 ou 1999, quand il m'avait fait visiter la base militaire de Fort Detrick. J'ai beaucoup de difficulté à croire qu'aucune autopsie de son corps n'ait été faite après son suicide, et qu'il se soit fait incinérer parce qu'il était un catholique très pratiquant. Il y a aussi la possibilité que le bacille du charbon ait été mélangé à du silicium, pour le rendre plus durablement aérosolisé. Si c'est le cas, Ivins avait nécessairement un complice. Comme un pays aussi puissant n'admettrait pas que le monde sache que ses militaires sont divisés au point que certains fomentent un complot, il est possible qu'Ivins ait été éliminé.»

Bruce Ivins s'est suicidé l'été dernier et a obligé sa femme, aussi catholique que lui, à le faire incinérer en ajoutant une clause à son testament qui léguait toute sa fortune à un groupe pro-choix en matière d'avortement. Cette clause a été présentée comme un autre signe de son instabilité, qui s'exprimait aussi par des commentaires parfois harcelants à l'égard de collègues féminins.

L'autre grande controverse dont traite le Dr Berche est la guerre bactériologique en Corée du Nord et en Chine. Il ne croit pas que les rapports d'autopsie aient pu être totalement inventés, comme le croient la plupart des chercheurs américains. Et il met en doute les archives soviétiques déclassifiées en 1998, où Staline demande à Mao de cesser de faire des fausses allégations à l'égard des Américains.

«On ne saura jamais vraiment la vérité tant que les archives militaires américaines ne sont pas complètement déclassifiées, dit le Dr Berche, en entrevue dans un hôtel du centre-ville. Il a fallu attendre 1976 pour que les Américains admettent qu'ils ont protégé les responsables des programmes bactériologiques japonais.»

À noter, l'un des principaux documents sur lesquels s'appuie le Dr Berthe à ce sujet a été écrit par un professeur d'histoire de l'Université York, Stephen Wendicott, dont le père était missionnaire en Chine et a témoigné en faveur des allégations chinoises de guerre bactériologique américaine.

Mis à part l'épisode britannique de la variole, le Canada n'a connu qu'un épisode militaire bactériologique, entre 1942 et 1943, quand des armes basées sur le bacille du charbon ont été mises au point à la Grosse-Île, dans le Saint-Laurent.

L'inventeur de l'insuline, Fred Banting, était à la source du projet.