Des chenilles de montagne ont trouvé un stratagème audacieux pour se nourrir. Elles pénètrent dans des fourmillières et font croire aux fourmis qu'elles sont des reines. Les fourmis n'y voient que du feu.

Cette curiosité du monde animal intriguait depuis longtemps les enthomologistes. Plus maintenant. Une équipe italo-britannique a découvert que les chenilles se servent de leur abdomen pour produire des sons semblables aux fourmis-reines. Si semblables, en fait, que les ouvrières les nourrissent mieux que les vraies reines.

«Les chenilles utilisent des signaux chimiques pour entrer dans la fourmillière, puis elles émettent des sons semblables aux fourmis reines pour se faire nourrir par les ouvrières», explique Jeremy Thomas, enthomologiste à l'Université Oxford, en entrevue téléphonique. «Ça marche tellement bien que dans les périodes de disette, les fourmis donnent à manger à la chenille leurs propres bébés fourmis.»

Cette stratégie «extrêment risquée» est rare: seulement une dizaine de milliers d'espèces -rares- de chenilles, de criquets et de mouches y ont recours. «Celles que nous avons étudiées vivent à flanc de montagne en Europe, dit M. Thomas. C'est très dangereux, parce que les fourmis défendent très bien leur fourmillière. Si la chenille est démasquée, elle ne survit pas très longtemps. Nous voulons d'ailleurs déterminer si certaines chenilles le sont et sont massacrées, ou si elles réussissent à tout coup.»

Il s'agit de parasitisme, et non d'échanges mutuels de services. «Les fourmis ne tirent absolument aucun avantage de la présence des chenilles. Pour ces dernières, c'est le paradis: elles se trouvent dans un environnement absolument protégé des prédateurs, et elles n'ont pas à faire d'efforts pour se nourrir.»

Quand on écoute des enregistrements amplifiés des sons émis par les fourmis reines et les chenilles, on reconnaît tout de suite la différence. Mais les fourmis n'y voient que du feu, parce qu'elles ne s'attardent qu'à certains passages à haute fréquence. «C'est un peu comme un violon et une trompette qui jouent la même note», dit M. Thomas.

La fourmi-reine émet ces bruits en frottant l'une des deux moitiés de son abdomen, rugueuse, contre l'autre moitié, munie de pics. Les capacités musicales de la chenille sont plus nébuleuses, mais selon les travaux d'une autre équipe, en Allemagne, les sons seraient émis par la contraction des muscles de l'abdomen de la chenille, selon M. Thomas.

Les reines et les chenilles ont-elles la même apparence? «Pas du tout, dit M. Thomas. La seule partie de leur corps qui se ressemble, c'est la bouche. Quand la chenille veut manger, elle se met sur ses pattes de derrière, comme la fourmi-reine.»