Les jugements rendus hier par la Cour suprême dans deux affaires de diffamation représentent une victoire pour la liberté de la presse au Canada. Et donc une victoire pour la démocratie canadienne.

Dans les deux causes, on poursuivait des journalistes pour atteinte à la réputation. Comme les faits se sont produits en Ontario, le plus haut tribunal du pays a tranché en se fondant sur la Common law. Cela limite la portée des jugements au Québec, où c'est le Code civil qui s'applique. Néanmoins, par ces jugements unanimes sur l'essentiel, la Cour suprême envoie un signal puissant au sujet de l'importance qu'elle accorde à la liberté d'expression quand l'intérêt public est en jeu.

 

Jusqu'ici, en Common law, un média poursuivi pour diffamation n'avait qu'un seul moyen de se défendre: il devait démontrer la véracité des faits rapportés. Selon la juge en chef de la Cour suprême, Beverley McLachlin, ces règles «n'accordent pas un poids suffisant à la valeur constitutionnelle de la liberté d'expression». La Cour introduit donc un nouveau moyen de défense pour les communicateurs publics, celui de la «communication responsable». Dorénavant, un média poursuivi pour diffamation pourra invoquer qu'il «s'est efforcé avec diligence de vérifier les allégations, compte tenu de l'ensemble des circonstances pertinentes». Ce moyen de défense existe déjà en droit civil québécois sous la forme du respect des «normes professionnelles du journaliste raisonnable.»

Plusieurs principes affirmés dans les jugements consolident la position des journalistes de tout le pays face à ceux qui cherchent à les intimider à coups de mises en demeure. Ainsi, les juges soutiennent une interprétation large de l'intérêt public: «Le public a véritablement intérêt à être au courant d'un grand éventail de sujets concernant tout autant la science et les arts que l'environnement, la religion et la moralité.»

Au sujet du ton des articles ou reportages résultant d'enquêtes journalistiques, la Cour écrit: «On ne doit pas faire de la platitude stylistique une condition d'application du moyen de défense. (...) Le journalisme d'enquête à son meilleur prend souvent une position incisive ou critique sur des questions d'actualité pressantes. Il ne faudrait pas que ce seul ton d'un article, responsable par ailleurs, empêche d'invoquer la défense de communication responsable.»

La Cour suprême continue de croire, bien sûr, que le droit à la réputation doit être protégé. «La liberté d'expression n'autorise pas à ternir des réputations», rappelle-t-elle.

À la suite de ce jugement, les personnes victimes d'un travail journalistique bâclé continueront de bénéficier de la sympathie des tribunaux. Par contre, les médias faisant leur travail consciencieusement, notamment par du journalisme d'enquête rigoureux, seront en mesure de mieux jouer leur rôle de chiens de garde de l'intérêt public.

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