Le marché du travail, vous le savez, fait maintenant face à une pénurie de main-d'oeuvre sévère, causée par la croissance économique et le vieillissement de la population.

Or, contrairement à la croyance répandue, cette pénurie n'est pas principalement vécue dans les secteurs de pointe, mais dans des postes de premier échelon, qui nécessitent souvent peu d'expérience ou d'études. Oui, la demande est forte pour les métiers spécialisés comme l'informatique, ce qui cause des problèmes, mais il faut se rendre à l'évidence : le gros des postes vacants est de premier niveau.

Ce constat, il vient d'une étude de Statistique Canada publiée début décembre. Selon cette étude, 48% des 367 000 postes vacants au Canada en 2016 étaient des emplois de premier échelon. Et ces emplois, quatre fois sur cinq, n'exigeaient pas de diplôme ou alors seulement un diplôme du secondaire.

Ce sont des emplois dans les secteurs de la restauration, du commerce de détail ou de l'agriculture, par exemple. Au Québec, cette proportion est un peu moindre, mais représente tout de même 46,5% des postes vacants.

Cela n'enlève rien au phénomène de la pénurie dans les secteurs de pointe, où les employés sont moins nombreux, mais cruciaux. Car il faut bien le dire : bien souvent, un employé de haut niveau qui est manquant dans une entreprise peut avoir des conséquences majeures. Qu'on pense aux informaticiens, aux ingénieurs ou aux comptables.

L'analyse de Statistique Canada permet toutefois de mettre le phénomène de pénurie en perspective. Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que le gouvernement du Québec tente par divers moyens, entre autres, de réintégrer les prestataires d'aide sociale sur le marché du travail.

Dans le budget 2016-2017, le gouvernement a majoré la prime au travail, qui vise justement à inciter certains ménages à quitter l'aide financière de dernier recours pour participer au marché du travail.

Sa récente politique de lutte contre la pauvreté va dans le même sens : elle hausse très peu les mensualités des assistés sociaux aptes au travail, mais relève de beaucoup celles des prestataires jugés inaptes au travail (de 12 749 $ à 18 000 $ par année dans 6 ans).

Cela dit, le phénomène de pénurie de main-d'oeuvre s'est clairement accentué. Au Québec, il y avait 83 860 postes vacants au deuxième trimestre de 2017, soit 16 780 de plus qu'à pareil moment un an plus tôt (+ 20%), selon Statistique Canada.

Globalement, le Québec serait maintenant au deuxième rang canadien pour les postes vacants, selon une analyse crédible de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI). Le taux de postes vacants au troisième trimestre de 2017 serait de 3,1% au Québec contre 3,0% en Ontario, 3,4% en Colombie-Britannique et 2,2% en Alberta.

En fouillant dans les données de Statistique Canada, j'ai été à même de voir quels secteurs sont plus particulièrement touchés. 

Premier constat : 8 des 20 emplois qui comptent le plus de postes vacants offrent des salaires de moins de 15 $ l'heure.

Par ailleurs, au sommet des postes vacants trône le secteur de la santé. Par exemple, plus de 4000 postes techniques et de soutien devaient y être pourvus au premier semestre de 2017, le double de l'année précédente.

Viennent ensuite les vendeurs dans le commerce de détail (3500), suivis des serveurs et aides-cuisiniers (3200). Et, comme prévu, du secteur informatique : les entreprises cherchaient à pourvoir rapidement près de 2700 postes de professionnels en informatique au premier semestre de 2017, soit 27% de plus qu'à la période correspondante de 2016. Le salaire moyen offert : 31,32 $, trois fois celui des serveurs.

Pour être en mesure de mieux cerner la crise de la main-d'oeuvre, j'ai également ausculté les secteurs où les postes vacants avaient le plus augmenté entre 2016 et 2017.

Parmi les 10 principaux postes qui offrent plus de 20 $ l'heure, les mécaniciens, les charpentiers, les chauffeurs d'équipements lourds et le personnel en finance et assurance sont particulièrement recherchés. Tous ces secteurs ont vu les postes vacants bondir de plus de 40% en 2017. Y figurent aussi les professionnels des services sociaux et communautaires (+ 76%) et les directeurs des ventes (+ 41%).

Parmi les jobs offrant moins de 20 $ l'heure, la pénurie apparaît sévère chez les débardeurs, les dispensateurs de soins en milieu familial et les chauffeurs, notamment.

Dans le contexte de faible chômage, de pénurie de main-d'oeuvre et de vieillissement, les gouvernements doivent revoir leurs politiques. Les façons de faire d'il y a 25 ans pour stimuler l'emploi et l'économie risquent aujourd'hui de nuire, au contraire.

Ainsi, le gouvernement handicapera l'économie en continuant de subventionner généreusement le personnel en technologie de l'information et en multimédia. Ces subventions accentuent la pénurie, phénomène qui prive bien des PME de ressources essentielles à leur croissance et même à leur survie.

Quant aux emplois de premier échelon en pénurie (cuisiniers, vendeurs, serveurs, préposées aux bénéficiaires, etc.), les entreprises doivent s'ajuster, question de retenir leurs meilleurs éléments.

Depuis deux ans, par exemple, les salaires dans le commerce n'ont grimpé que de 1,1%, trois fois moins que la moyenne (3,9%). Dans le secteur de l'hébergement et de la restauration, les salaires végètent depuis cinq ans.

De toute façon, au rythme où vont les choses en Ontario et en Alberta, si nos entreprises n'ajustent pas leurs rémunérations, elle se verront imposer une hausse généralisée et importante du salaire minimum. Est-ce ce qu'elles souhaitent?