Directeur québécois du Syndicat des Métallos (FTQ), l'auteur réplique à l'opinion » du président du Conseil du patronat du Québec, Yves-Thomas Dorval, intitulée «Le mirage du plancher d'emploi, qui a été publiée le 17 février.

Dans une récente sortie publique, le président du Conseil du patronat a pris position contre les revendications des lock-outés d'Alma, en prenant bien soin de préciser qu'il ne voulait pas prendre position dans le conflit. Langue de bois, quand tu nous tiens!

M. Dorval s'est dit préoccupé par le « conflit qui paralyse l'usine » qui « semble » prendre sa source dans les « revendications syndicales ». Appelons un chat un chat : ce conflit est un lock-out. Et ce lockout a été décrété par l'employeur le 30 décembre 2011, 24 heures avant qu'il n'en ait légalement le droit. Les « revendications syndicales » constituent simplement une réplique à la volonté de Rio Tinto Alcan de recourir outrageusement à la sous-traitance, soit à des employés payés la moitié du salaire, pour faire des tâches normalement effectuées par les travailleurs de RTA.

En effet, depuis l'achat d'Alcan par Rio Tinto, et plus encore depuis 18 mois, l'employeur a de plus en plus recours à des sous-traitants externes pour effectuer du travail courant. En 2010, le ratio des heures travaillées en sous-traitance par rapport aux heures travaillées par des syndiqués s'établissait à 10,7%, soit 140 000 heures comparativement à 1,3 million. Selon les indications données par la compagnie, ce ratio est appelé à bondir en 2012, pour s'établir à environ 27%, soit 350 000 heures.

Dans un passé pas si lointain, les employeurs imposaient des clauses orphelins, odieusement incluses dans des « offres finales et globales ». Les entreprises accordaient ainsi un salaire moindre aux nouveaux travailleurs. Ce type de pratique discriminatoire a heureusement été interdit par la législation québécoise.

Mais aujourd'hui, des employeurs comme RTA tentent de réduire leur masse salariale en ayant recours à un procédé du même ordre. Au fil des départs à la retraite, ou des réaffectations, plutôt que de combler les postes laissés vacants, RTA a recours à des sous-traitants. Et ces nouveaux arrivés dans l'usine, Ô surprise, sont rémunérés environ la moitié du salaire des travailleurs réguliers. Ça ne porte peut-être pas le nom de clause orphelin, mais l'effet est le même : sacrifier les nouveaux travailleurs au nom de la pseudo-flexibilité.

Le porte-parole des patrons tente de peindre les revendications syndicales comme archaïques, comme autant d'obstacles à la nouvelle économie mondialisée. Loin d'être rétrogrades, ces syndiqués ont décidé de se battre pour ceux qui les suivront. La soif de profits d'une multinationale ne lui donne pas le droit d'affamer une région en réservant à ses jeunes des sous-emplois.

On tente de faire croire que ce qui est demandé à Alma n'existe pas ailleurs. C'est faux. Les travailleurs de RTA veulent baliser la sous-traitance pour empêcher de remplacer graduellement les travailleurs de RTA par des employés de sous-traitants à rabais. Clauses de sous-traitance, nouveau modèle organisationnel, plancher d'emplois, niveaux d'emplois : ce jargon technique importe peu, ce qui compte, c'est l'effet. L'objectif est d'empêcher les abus, pas de tout figer.

Ça existe dans le secteur privé. Quelques exemples dans d'autres conventions : chez Permacon, fabricant de pavé et de briques, un entrepreneur ne peut exécuter des travaux normalement effectués par les membres de l'unité de négociation; même scénario chez ArcelorMittal Mines; chez CEZinc à Valleyfield, l'employeur doit combler les postes vacants avant de pouvoir faire appel à la sous-traitance; chez Mine Wabush, une lettre d'entente prévoit que l'employeur doit respecter un certain niveau d'emplois et est tenu de combler les postes vacants.

Il y en a même chez Rio Tinto! Il existe des niveaux d'emplois bien définis dans la convention des employés d'Énergie électrique, qui fabriquent l'électricité qui alimente les alumineries du Saguenay-Lac-Saint-Jean!

Quant aux craintes du Conseil du patronat sur les investissements étrangers, je tiens à le rassurer : avec de l'électricité à rabais jusqu'en 2058, les alumineries ne sont pas prêtes de partir. Mais elles doivent avoir la décence de maintenir un volume de masse salariale en conséquence dans les régions qui les accueillent. La bataille des lock-outés d'Alma en est une pour les générations futures, pour l'économie régionale, et pour le respect des Québécois par les multinationales qui bénéficient de nos ressources.