L'auteur est président-directeur général de CBC/Radio-Canada. Ce texte est extrait de la conférence que prononçait M. Lacroix, vendredi dernier, devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

Dans les derniers mois, j'ai souvent eu l'occasion de parler des valeurs de la radiodiffusion publique, de ce nouveau plan stratégique, de notre rôle de leadership dans l'expression de la culture au Canada, de notre objectif quotidien d'enrichir la démocratie, et de notre présence active dans ce que j'ai appelé «l'écosystème médiatique».



Parce que, dans certains milieux, les conversations à notre sujet commencent souvent par l'affirmation suivante: CBC/Radio-Canada - qui reçoit 1,1 milliard de dollars du gouvernement - fait concurrence à toutes les autres organisations du secteur privé (CTV, Global et Quebecor) qui, semble-t-il, sont injustement désavantagées au plan économique, du fait, soutiennent-elles, qu'elles ne reçoivent aucun fonds publics.

Désolé, mais cette prémisse est fausse.

Toutes les entreprises médiatiques faisant partie de l'écosystème de radiodiffusion au Canada reçoivent (i) un appui considérable de sources comme le Fonds des médias du Canada et le Fonds pour l'amélioration de la programmation locale, et (ii) directement ou indirectement, des avantages fiscaux ou réglementaires, qui sont spécialement conçus et mis en place pour appuyer la réalisation d'objectifs législatifs précis.

En fait, ces subventions et autres avantages publics - directs ou indirects - que les radiodiffuseurs privés reçoivent tournent autour de 900 millions de dollars par année.

Quebecor, elle-même, lorsqu'on inclut ses activités de télécommunications, a reçu des avantages au cours des trois dernières années qui se chiffrent à près de 500 millions de dollars.

Il faut aussi reconnaître un autre fait dont on ne parle pas souvent: si nous voulons protéger notre culture et notre identité, il n'existe aucun modèle économique viable capable de soutenir une solide industrie intrinsèquement canadienne de la radiodiffusion.

C'est beaucoup trop facile et beaucoup trop rentable d'acheter et de présenter des émissions étrangères à l'écran plutôt que d'investir dans le développement d'émissions canadiennes.

Cet enjeu de protection de culture va d'ailleurs bien au-delà d'émissions de télévision ou de radio. Il faut soutenir aussi activement, par exemple, la production musicale au pays ou encore l'industrie cinématographique. Des films comme Monsieur Lazhar, qui représentera le Canada au prochain gala des Oscars, tout comme Incendies et Les invasions barbares - qui lui a remporté l'Oscar du meilleur film étranger en 2004 -, ont tous été produits avec, entre autres sources de financement, l'appui de Radio-Canada.

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Depuis notre dernière rencontre, quelque chose a cependant changé. Quebecor a intensifié sa couverture du radiodiffuseur public.

Dans son éditorial de mardi dernier, André Pratte de La Presse écrivait que les médias de Quebecor étaient en guerre et qu'ils s'acharnaient contre deux cibles: nous sommes évidemment l'une de ces cibles. M. Pratte a fait référence aux attaques contre nous et au fait que Quebecor a transformé en combats extrêmes ce qui n'était autrefois que loyales concurrences. «Pour Quebecor, tous les coups sont permis, peu importe les conséquences sur la vérité et sur la réputation des personnes visées», a-t-il écrit.

Le prix pour «l'attaque de la semaine» revient sûrement à cette histoire entourant Hard, une série web qui vient de France, une comédie dramatique qui tire sur la caricature. Elle a été diffusée sur Canal+ et a remporté un succès certain en Europe. Cette série se retrouve sur TOU.TV.

Sun Media et certains de leurs animateurs se sont intéressés à notre culture francophone et ont mené une charge, aussitôt reprise par Le Journal de Montréal, à l'effet que nous diffusions là de la pornographie. Évidemment, ce n'est pas le cas!

Depuis, les articles dans leurs journaux et émissions respectives relancent sans cesse cette «controverse».

Mercredi, même Luc Lavoie, responsable du développement de Sun News, écrivait dans Le Journal de Montréal: «Est-ce bien le mandat d'une société comme Radio-Canada d'enrichir des producteurs et distributeurs étrangers en utilisant des deniers publics pour acheter une telle série...?» Eh oui, nous avons enrichi des producteurs et distributeurs étrangers en leur payant une somme de moins de 15 000 dollars pour la totalité des trois saisons de Hard. N'importe quelle personne qui connaît l'industrie aurait été capable d'évaluer notre investissement dans cette série et le mettre en perspective.

Je pourrais passer beaucoup de temps à vous citer des exemples du même genre, mais ça vous donne une idée du ton et du niveau d'intérêt entourant nos activités.

Vous pouvez toujours exprimer des opinions contraires à notre stratégie, notre programmation ou notre mandat, ou des points de vue négatifs sur notre existence ou les services que l'on rend, ou le coût de ces services. Là n'est pas mon point. Nous respectons la diversité des voix. En fait, nous l'encourageons.

Personnellement, je n'ai jamais peur de m'engager dans un débat intelligent sur les enjeux de la radiodiffusion publique ou sur notre mandat. Mais ce débat doit reposer sur des faits et ainsi, à chaque fois que Quebecor s'attaquera à notre marque ou à nos personnes sans le faire en se référant à des faits ou que leurs attaques s'avèreront inappropriées, je me lèverai, le dirai tout fort, défendrai les intérêts du radiodiffuseur public et nous rétablirons les faits.

Et, quand Luc Lavoie écrit que Radio-Canada est le pendant télévisuel de La Presse, quand les animateurs de Sun Media s'amusent à nous insulter pendant leurs émissions, quand les chroniqueurs du Journal de Montréal utilisent leurs espaces pour nous donner des conseils sur la gestion de notre entreprise ou déclencher des rumeurs, je souris et comprends qu'ils commencent à manquer de contenu.

Et, en toile de fond, toujours ces lettres de Pierre Karl qui m'accusent de ne pas annoncer dans Le Journal de Montréal ou dans les journaux de Sun Media.

Je ferme la parenthèse sur Quebecor, parenthèse déjà beaucoup trop longue, en utilisant les mots de M. Pratte: «Jusqu'où ira cette entreprise pour parvenir à ses fins?»

Quant à nous, nous savons, par plusieurs études et sondages, que les Canadiens apprécient CBC/Radio-Canada. L'exemple le plus récent: le sondage iPsos Reid dévoilé la semaine dernière sur les marques les plus influentes au pays, qui nous a placé au sixième rang; nous sommes d'ailleurs la seule marque média qui se classe dans le top 10. Ce qui m'a surtout fait plaisir sont les critères que les Canadiens ont utilisé pour faire leur choix pour le classement des marques: (i) leadership; (ii) fiabilité; (iii) pertinence; (iv) présence; (v) responsabilité d'entreprise et (vi) engagement avec les Canadiens. Voilà une belle marque de confiance des Canadiens envers leur radiodiffuseur public.