Bien que les licenciements collectifs fassent partie du paysage économique à l'année longue, la pause estivale dans l'actualité permet de mettre à l'avant-scène plusieurs de ces événements: fermeture des centres d'appels canadiens de l'entreprise américaine IQT Solutions, suppression d'emplois chez Labopharm, fermeture de l'usine de Technicolor à Mirabel.

Ces décisions d'entreprise visant la réduction de la main-d'oeuvre et la restructuration de l'entreprise ne sont pas exceptionnelles en cette ère de mondialisation. Au Québec seulement, nos compilations montrent que plus de 1000 établissements ont été fermés et plus de 200 000 emplois ont été perdus dans le secteur de la fabrication et des services au cours de la période allant de 2003 à 2010.

Parmi les quelque 2500 établissements touchés par une restructuration entraînant un licenciement collectif, près d'un sur cinq a connu plus d'un de ces événements (parfois plus de 10) au cours de la période étudiée.

Il est facile de voir que cette quasi-permanence des restructurations d'entreprise contribue à banaliser les licenciements collectifs qu'elles engendrent. Cette banalisation des destructions d'emplois afin de résoudre des problèmes de compétitivité ou de maximiser la valeur des actionnaires fait qu'on ne s'interroge pas souvent sur ces événements en dépit en des conséquences dévastatrices qu'ils comportent la plupart du temps pour les travailleurs et les communautés touchés.

La manière dont a procédé IQT Solutions pour licencier ses employés au Canada, qualifiée unanimement de sauvage, illustre bien que les façons de faire en matière de licenciement collectif importent.

Il y a bien sûr de bonnes pratiques corporatives : préavis, départs volontaires, redéploiement de la main-d'oeuvre, aide à la recherche d'emploi, etc. Les conventions collectives prévoient également certaines dispositions comme la recherche d'alternatives aux mises à pied (par exemple, la réduction des heures supplémentaires) ou l'atténuation des conséquences négatives (indemnités de licenciement).

Cependant, la Loi sur les normes du travail demeure la pierre angulaire des façons de faire, car elle protège les 60% des travailleurs québécois qui ne sont pas syndiqués, elle inspire largement le contenu des conventions collectives et elle encadre le comportement des entreprises qui procèdent généralement selon les lois en vigueur.

Alors que la législation québécoise en matière de relations et de conditions de travail est souvent présentée comme comptant parmi les plus progressistes en Amérique du Nord, il faut se rendre à l'évidence que c'est loin d'être le cas en matière de licenciements collectifs.

Une étude publiée dans la revue REMEST en 2010 montre que le Québec se classe parmi les pays de l'OCDE où la législation sur les  licenciements collectifs est la moins contraignante pour les entreprises que les lois en vigueur dans les pays européens, le reste du Canada, aux États-Unis et au Mexique.

Pourquoi ? Absence de délai avant que l'avis de licenciement n'entre en vigueur; possibilité de compenser l'avis par une compensation monétaire; absence d'indemnités en plus du préavis (contrairement aux juridictions fédérale et ontarienne); aucune obligation faite à l'employeur de justifier la décision prise, de proposer un plan social ou de montrer les mesures prises afin d'éviter les licenciements ou reclasser les salariés; absence de critères légaux pour déterminer l'ordre des licenciements, etc.

Une législation plus contraignante pour les entreprises n'aurait pas pour effet de d'empêcher les licenciements mais qu'elle permettrait certainement de les civiliser davantage.

Deux arguments valables pourraient être avancés pour s'opposer à un rehaussement de la régulation en matière de licenciements collectifs: la difficulté à faire respecter la législation déjà existante ainsi que le message négatif envoyé aux investisseurs étrangers.

Face à un capital mobile dont le terrain de jeu est mondial, la capacité des états nationaux de réguler le comportement des entreprises est réduite car confinée au territoire national. Mais est-ce à dire que leur rôle n'en est désormais réduit qu'à attirer les entreprises au détriment de leurs fonctions de protection de leurs citoyens? En l'absence d'une gouvernance mondiale de même niveau que celui des marchés et des multinationales, il faut certainement penser à mobiliser des sources de régulation autres que nationales: renforcement du parent pauvre des accords de libre-échange, soit leur volet social; promotion des codes de conduite et de la responsabilité sociale de l'entreprise; encouragement au respect des normes internationales (p.ex. ISO 26000 ou normes édictées par l'Organisation internationale du travail), etc. Ces modes de régulation en émergence ne rendent cependant pas caduc le rôle des pouvoirs publics dans l'encadrement des conditions de travail des travailleurs.

En dépit de la mondialisation, c'est à l'État et à lui seul qu'il revient de se donner les moyens pour faire respecter ses propres lois sur son territoire. L'octroi d'un mandat élargi et des ressources conséquentes aux organismes gouvernementaux, notamment la Commission des normes du travail, irait certainement dans le sens d'une meilleure protection des citoyens québécois contre les abus.

Un renforcement des dispositions relatives aux licenciements collectifs ne contribuerait non pas à singulariser le Québec mais plutôt à rendre sa situation similaire à ce qui existe ailleurs dans les pays de l'OCDE, ce qui ne le disqualifierait pas ainsi d'entrée de jeu dans la course aux investissements étrangers.

D'ailleurs, au moment où un accord de libre-échange entre l'Europe et le Canada est négocié, il serait ainsi à-propos d'examiner la mise à niveau de la législation québécoise aux standards des directives de l'Union européenne afin de consacrer notamment le droit des salariés québécois à être informés et consultés concernant les restructurations, droit dont ils ne bénéficient pas actuellement.

Sans être une panacée, une telle mise à niveau permettrait de donner une véritable capacité aux travailleurs et aux communautés pour élaborer des alternatives ou négocier des transitions efficaces et humaines et ainsi réduire l'insécurité entourant les restructurations qui, qu'on le veuille ou non, continueront de faire partie du paysage économique québécois.