Le procès très médiatisé du cardiologue Guy Turcotte, accusé du meurtre de ses deux enfants, nous bouleverse et nous laisse sans voix parce que les témoignages qui y sont rendus nous font voir de l'intérieur le gâchis de vies humaines que provoque ce qu'on appelle en termes neutres une «tragédie familiale».

Le procès très médiatisé du cardiologue Guy Turcotte, accusé du meurtre de ses deux enfants, nous bouleverse et nous laisse sans voix parce que les témoignages qui y sont rendus nous font voir de l'intérieur le gâchis de vies humaines que provoque ce qu'on appelle en termes neutres une «tragédie familiale».

Nous pouvons continuer d'être bouleversés pendant des jours et des semaines, cela ne changera rien à la situation. Depuis que ce drame a eu lieu à l'hiver 2009, d'autres tragédies familiales ont eu lieu, moins médiatisées, mais tout aussi dévastatrices, et si nous n'agissons pas maintenant, d'autres suivront. Les membres restants de la famille concernée - ex-conjointe ou enfants - sont les plus cruellement éprouvés, mais les proches et l'entourage sont aussi affectés.

Je n'ai pas suivi les médias écrits. Les médias télévisés interviewent psychiatres et avocats, mais ne parlent pas de la principale leçon à tirer de ce procès, soit la prévention et l'urgence d'apporter aide et soutien aux hommes en détresse lors de la séparation de leur couple.

On parle toujours dans ces cas-là de gestes inexplicables. On peut au moins faire deux constats.

Le premier: le degré d'intensité de la fragilité, de la vulnérabilité, de la souffrance et du désespoir dans des moments de crise varie d'une personne à l'autre. Chacun vit ces émotions différemment. Mais les faits montrent que la détresse vécue lors de difficultés amoureuses et familiales et lors de la séparation d'un couple pousse plus d'hommes que de femmes à vouloir se suicider et à entraîner dans leur tentative ou leur réussite leur ex-conjointe ou/et leurs enfants. Nous pouvons discuter pendant des semaines et des mois des causes qui conduisent quelqu'un à passer à l'acte, mais les faits demeurent et c'est ce genre de faits qu'il faut prévenir.

Le second constat: il y a toujours une première tragédie d'extrême isolement avant le passage à l'acte.

Ce dont notre société a besoin, et un besoin urgent, c'est que les gouvernements accordent des fonds substantiels aux 46 centres d'aide aux hommes en difficultés existants (37 en régions et huit à Montréal) - tenus à bout de bras -, pour leur permettre de répondre aux besoins en termes de soutien, d'hébergement temporaire et d'intervention 24 heures sur 24, ce qui est loin d'être le cas actuellement. Et aussi pour qu'ils puissent faire connaître leurs services à leur communauté et à l'ensemble de la population.

Le nombre de ces centres est probablement insuffisant pour répondre aux besoins, mais commençons au moins par équiper adéquatement ceux qui existent déjà. Nul besoin d'études gouvernementales supplémentaires. Ces organismes ont chiffré les besoins de leur communauté et le financement nécessaire pour rendre des services adéquats et efficaces, des services que d'ailleurs les gouvernements ne peuvent rendre directement.

Parallèlement, le gouvernement québécois devra faire des campagnes de sensibilisation comme il l'a fait pour les maisons d'hébergement pour les femmes violentées:

1) pour faire la promotion de ce réseau de centres d'aide afin que les hommes en difficultés de même que leurs proches et leur entourage en connaissent l'existence et soient portés à y avoir recours avant qu'un geste fatal ne soit fait;

2) pour convaincre les hommes de tous les milieux sociaux qui sont en détresse lors d'une séparation que personne n'a à vivre seul une situation de crise, que l'isolement est dangereux et peut même être fatal et que demander de l'aide n'est ni une faiblesse ni une tare;

3) pour convaincre les proches et l'entourage d'un homme en difficultés d'être attentifs à ses signes de détresse.

La prévention est là, pas ailleurs.

Où trouver l'argent? Il y en a, semble-t-il, à Québec. Le gouvernement actuel fait la promotion ces jours-ci à grand renfort de publicité du Plan Nord pour développer nos ressources minières, qui exigera des investissements faramineux en construction de routes pour des redevances fiscales futures et incertaines.

Le financement adéquat des centres d'aide aux hommes en difficultés afin de prévenir d'autres tragédies familiales est beaucoup plus urgent à assurer qu'un Plan Nord, infiniment moins coûteux - trois fois rien comparativement - et les redevances sur le plan social infiniment plus importantes et certaines. À Ottawa non plus, l'argent ne semble pas un problème puisque le gouvernement fédéral prévoit investir je ne sais plus combien de milliards dans l'achat d'avions militaires.

Il s'agit de savoir si comme population les témoignages donnés à ce procès nous auront rendus plus conscients de la situation et si nous avons assez de compassion et de solidarité pour accorder la priorité aux vies humaines, nous mobiliser et exiger de nos gouvernements qu'ils fassent passer la vie humaine avant l'asphalte et l'équipement militaire et débloquent les fonds nécessaires pour ces organismes maintenant et non dans cinq ou 10 ans.