Le cerveau pèse environ 1,5 kg. Il flotte à l'intérieur d'un crâne osseux, entouré de liquide céphalorachidien, effleurant presque le crâne. Sauf quand la tête subit un choc.

Le cerveau pèse environ 1,5 kg. Il flotte à l'intérieur d'un crâne osseux, entouré de liquide céphalorachidien, effleurant presque le crâne. Sauf quand la tête subit un choc.

Alors, le cerveau bouge, ricochant contre les parois du crâne. Si le contact est assez violent, le cerveau saigne. Et ses composantes - les neurones et les fonctions que nous utilisons pour penser, apprendre et mémoriser - sont endommagées.

Comment aurait-on pu penser qu'il en est autrement?

Comment aurions-nous pu croire que tout revenait à la normale une fois qu'on n'avait plus d'étourdissements? Tous les petits coups, des dizaines dans chaque match, si peu importants que nous ne nous en apercevons même pas - comment aurions-nous pu être aussi ignorants? Aussi stupides?

Je réagis de la même façon quand je me souviens que nous avons été si longtemps inconscients des effets du tabagisme ou de la conduite en état d'ébriété. Ou quand je pense aux femmes qui, autrefois, n'avaient pas le droit de voter, ou encore quand je pense à l'esclavage. Ces gens d'il y a 50, 100 ou 200 ans, comment pouvaient-ils être aussi ignorants? Aussi stupides?

Je me demande ce que les gens diront de nous dans une cinquantaine d'années. Quelles auront été nos grosses erreurs? Des produits chimiques dans notre alimentation? Des modifications génétiques qui ont mal tourné? Les changements climatiques?

Dans le sport, ce sont les blessures à la tête qui reviendront nous hanter. Avant 1943, les casques protecteurs n'étaient pas obligatoires dans la Ligue nationale de football (NFL). Dans la LNH, il a fallu attendre 1979; le premier masque de gardien a été porté en 1959.

Durant toute mon enfance et mon adolescence, j'ai gardé les buts sans masque. J'en ai porté un pour la première fois en 1965; ils étaient obligatoires dans l'équipe universitaire. Comment ai-je pu être aussi stupide?

Au football, un receveur éloigné de 100 kg coupe au centre du terrain à 35 km/h; un ailier défensif de 110 kg coupe en direction opposée à 20 km/h. Le receveur éloigné suit le ballon ; l'ailier défensif vise le receveur, sachant qu'un bon plaqué fera plus que briser le jeu. Le coup brisera aussi la concentration et la volonté du receveur pour toutes les autres passes du match.

Quand deux joueurs de hockey, presque aussi gros que les joueurs de football mais évoluant beaucoup plus rapidement sur la glace, entrent en collision ou heurtent les bandes, la baie vitrée ou la glace, la force de chaque coup est exacerbée. Des boxeurs, échangeant des jabs et des crochets à la tête, ronde après ronde. (Mais ne frappez pas sous la ceinture, ce n'est pas loyal...)

Combats extrêmes: poing, pied, coude, genou, os contre os. Mettez votre adversaire au sol et quand il est sans défense, frappez, frappez.

Ces innombrables petits incidents ne font jamais partie des faits saillants des matches de football, de hockey, de soccer, etc. Les joueurs ressentent un léger vertige, puis se remettent en quelques secondes. Ils se sentent bien. Donc, tout doit aller bien...

Des années plus tard, leur esprit est moins clair. Leur mémoire est défaillante. Peut-être cela leur arrive-t-il quelques années avant les autres. Mais au hasard de la vie, il arrive tant de choses qu'on ne saurait expliquer. L'explication pourrait être génétique. Il pourrait y avoir un élément de malchance.

* * *

Le hockey a débuté à 1875 à Montréal parce que des joueurs de rugby étaient à la recherche d'un sport d'hiver avec contact. Mais les joueurs de rugby ne patinaient pas très vite, ils étaient plus petits que les hockeyeurs d'aujourd'hui et ils jouaient sur une surface plus petite où ils avaient peu d'espace pour accélérer. Comme les substitutions n'étaient pas permises, tout le match était joué à vitesse de croisière.

Les patinoires plus grandes ont changé l'allure du jeu ; tout comme les passes vers l'avant, les bandes et baies vitrées, les substitutions, les présences plus courtes sur la glace et des joueurs plus gros. Les joueurs qui portent un casque protecteur aujourd'hui risquent bien plus d'être blessés à la tête que les joueurs sans casque des générations précédentes.

Nous choisissons d'ignorer que les sports ne cessent d'évoluer. Le hockey d'aujourd'hui, sur le plan de la vitesse, de l'habileté, du style de jeu et de la force des impacts, ne ressemble en rien au hockey d'il y a 50 ans, et encore moins d'il y a 100 ans. Les casques, les protecteurs faciaux, les joueurs de plus de 140 kg et un entraînement durant toute l'année ont transformé de même façon le football nord-américain.

Ces sports ont changé parce que quelqu'un a innové, que d'autres ont suivi et que personne ne les a arrêtés. À plusieurs occasions, les sports ont dû changer pour des motifs de sécurité ou d'économie. Pour les joueurs, pour les amateurs et pour le jeu lui-même, ces sports seront toujours dans l'obligation d'évoluer.

Il y a quelques jours, j'ai lui l'histoire de Bob Probert. C'était un dur à cuire. Son talent de pugiliste lui a valu une place dans la LNH et avec les années, il a appris à devenir un joueur complet. M. Probert a participé à 240 combats dans la Ligue nationale (il en a perdu très peu) et à combien d'autres dans les ligues junior. Sa femme a déclaré qu'avant sa mort, l'an dernier, il avait des trous de mémoire et de fréquentes sautes d'humeur. Selon la faculté de médecine de l'Université de Boston, une autopsie a révélé que M. Probert souffrait d'une maladie dégénérative du  cerveau (encéphalopathie traumatique chronique). Il avait 45 ans.

Les générations futures nous blâmeront pour notre incompréhension et notre traitement des blessures sportives à la tête. Elles demanderont: comment est-ce possible que nous n'ayons pas su, ou que nous avions choisi d'ignorer? Avis à tous - joueurs, anciens joueurs, propriétaires, gérants, instructeurs, médecins, administrateurs de ligues, avocats, agents, médias, conjoints et familles des joueurs : il n'est plus possible de ne pas savoir, de ne pas avoir peur... à moins de fermer volontairement les yeux.

Max Pacioretty est la plus récente victime; il ne sera pas la dernière. Les arguments et les explications n'ont plus d'importance. La LNH doit prendre les mesures qui s'imposent. Et si certaines ne donnent pas les résultats escomptés, ce sera bien moins grave que les erreurs que nous commettons maintenant. Il est temps d'arrêter d'être stupides.