Zombie Boy, à qui La Presse a consacré un passionnant article dans son édition de samedi dernier, vient d'entrer pour un temps dans la culture populaire grâce à un vidéoclip de Lady Gaga, qui le met en vedette. On sait ce qui particularise ce garçon: il a tatoué son visage et son corps jusqu'à se défigurer, son apparence étant désormais celle d'un mort-vivant.

Zombie Boy, à qui La Presse a consacré un passionnant article dans son édition de samedi dernier, vient d'entrer pour un temps dans la culture populaire grâce à un vidéoclip de Lady Gaga, qui le met en vedette. On sait ce qui particularise ce garçon: il a tatoué son visage et son corps jusqu'à se défigurer, son apparence étant désormais celle d'un mort-vivant.

Je ne connais pas l'histoire intime de ce garçon et je ne doute pas qu'une profonde détresse a dû le conduire à une telle extrémité. Certains seront tentés d'y reconnaître le dérèglement psychologique d'un individu au mal de vivre si radical qu'il a plongé dans le nihilisme le plus profond, en poussant la défiguration jusqu'à la déshumanisation.

Mais la légitime psychologisation de cette détresse ne doit pas nous amener à gommer sa signification sociologique. Car cette forme d'individualisme exacerbé correspond plutôt à une dislocation culturelle qui est l'effet de la déstructuration des valeurs «traditionnelles» et qui s'exprime notamment à travers une «quête d'authenticité» que nos sociétés valorisent à outrance.

La quête de l'authenticité est un héritage de la contre-culture qui a déferlé sur les sociétés occidentales depuis 40 ans. Selon la contre-culture, l'individu ne devait plus construire sa personnalité à travers les catégories et les rôles que la société suggère ou impose. À travers sa quête d'authenticité, il ne devait plus suivre les codes convenus de la décence et de la civilisation, mais se révolter contre eux, pour exprimer le plus radicalement son individualité.

Avec raison, on assimile souvent cette implosion des normes à la postmodernité. La société postmoderne fonctionne à la survalorisation des marges, les comportements asociaux et même antisociaux étant présentés comme autant de manifestations de résistance au conformisme social ou «marchand». Évidemment, il faut toujours pousser plus loin la transgression pour affirmer son authenticité.

Mais la quête de l'authenticité se retourne ici contre elle-même. Ne voulant plus suivre les balises et se laisser imprégner par les moeurs dominantes - et ne doutant pas un seul instant de leur propre individualité, nécessairement géniale et créatrice (!) - certains font alors le choix de constituer leur individualité à travers une inversion radicalisée des règles les plus fondamentales. On y verra le signe d'une pathologie de l'authenticité qui vire au nihilisme le plus destructeur.

Si Zombie Boy exprime radicalement cette transgression, on peut en voir des manifestations, heureusement plus bénignes, partout dans notre quotidien. Mais cette désaffiliation produit paradoxalement un désir radical de reconnaissance sociale. Car ceux qui se marginalisent plus ou moins violemment de la société lui demandent après coup d'accepter leur différence. L'individualisme désaffilié ne semble pas pouvoir se passer de la société, même s'il en rejette les règles élémentaires.

Zombie Boy a poussé la désaffiliation jusqu'à la déshumanisation. Il ne veut plus ressembler à un être humain. Mais les belles âmes qui fonctionnent au moralisme humanitaire nous inviteront à respecter cette «puissante individualité» qui nous amènerait à revoir notre rapport à l'autre, à la différence. Et les subversifs de salon, eux, s'extasieront parce qu'ils croient que l'art aurait nécessairement pour vocation de créer un malaise esthétique, d'élargir toujours nos zones d'inconfort. Il n'y a apparemment pas de conformisme plus pesant que celui de l'anticonformisme.

On nous demandera de tolérer Zombie Boy et ceux qui, dans une certaine mesure, suivent son exemple. Tolérance. C'est le mot qui sied. Mais il ne faudrait pas confondre la tolérance avec le respect ou la reconnaissance. La tolérance ne devrait pas nous empêcher de critiquer sévèrement ceux qui s'autoexcluent de la société, mais qui lui demandent au même moment de leur faire une place comme si les règles n'avaient aucune raison d'être.