Muni de son passeport diplomatique et flanqué de sa femme Véronique Roy, l'ex-président Jean Claude Duvalier a été accueilli par des loyalistes à l'aéroport de Port-au-Prince. Acte héroïque ou acte suicidaire un tel retour, sur le plan juridique et/ou politique? Comment interpréter un tel geste de la part d'un politicien condamné peut-être trop vite devant le tribunal de l'histoire, mais aussi et surtout devant celui de la vieille opposition antiduvaliériste?  

Muni de son passeport diplomatique et flanqué de sa femme Véronique Roy, l'ex-président Jean Claude Duvalier a été accueilli par des loyalistes à l'aéroport de Port-au-Prince. Acte héroïque ou acte suicidaire un tel retour, sur le plan juridique et/ou politique? Comment interpréter un tel geste de la part d'un politicien condamné peut-être trop vite devant le tribunal de l'histoire, mais aussi et surtout devant celui de la vieille opposition antiduvaliériste?  

Avant de répondre à ces questions, il y a lieu de souligner que M. Duvalier semble avoir trouvé dans le tremblement de terre du 12 janvier 2010 le prétexte pour justifier son retour inattendu sur l'ile. Il ne faudrait pas s'empresser d'interpréter à la lettre le prétexte invoqué par l'intéressé.  Parmi les deux tremblements de terre qui ont terrassé Haïti, auquel fait-il exactement allusion? L'aléatoire ou le structurel? Il est plausible que ce soit au deuxième qu'il se réfère. Dans ce cas, comment un ex-président chassé du pouvoir 25 ans plus tôt ose-t-il s'offrir aujourd'hui comme bénévole pour aider à sortir ce pays du pétrin?  

L'on ne peut comprendre le retour de M. Duvalier en dehors de l'effondrement systémique de l'État d'Haïti. Un tel retour consacre l'échec lamentable de l'opposition anti-duvaliériste et son incapacité à faire mieux que la dictature duvaliérienne, et ceci, aussi bien sur le plan politique qu'économique et social. Depuis un certain temps, il flotte une atmosphère de nostalgie de la période duvaliériste chez les Haïtiens, notamment, dans la capitale haïtienne. Les loyalistes ont toujours fait le parallélisme entre le destin du duvaliérisme et celui du péronisme en Argentine. C'est à la lumière d'un tel parallélisme qu'il faut interpréter le retour inattendu de M. Duvalier.

Donc, ce retour constitue avant tout un geste essentiellement politique. Le timing choisi, couplé au contexte de la tutelle, celui de l'échec de la reconstruction ainsi que de la faillite institutionnelle et économique du pays décuple la portée politique et symbolique de la présence de M. Duvalier sur le sol haïtien. De bourreau à son départ en 1986, voilà Duvalier réhabilité en 2011 en option politique suscitant une certaine ferveur chez ses partisans.

Un tel retour physique et politique de M. Duvalier est la consécration ultime de la faillite et de l'incompétence aussi bien de l'opposition antiduvaliériste que de la nouvelle élite politique de l'ère postduvaliérienne. Les Duvalier ont réussi là où l'opposition historique haïtienne et l'ONU ont échoué, c'est-à-dire la stabilisation d'Haïti. Au prix fort sur le plan politique et économique, objectera-t-on, avec raison. Par contre, les duvaliéristes avaient réalisé que l'État d'Haïti était un État corsaire, donc, un anti-État. La dictature duvaliérienne s'est tout simplement substituée à cet État antiétatique. Cela a pris 17 ans et cinq missions ratées pour que l'ONU se rende compte d'une telle réalité.

En renversant M. Duvalier en 1986, Haïti s'est retrouvé sans État sans que la communauté internationale et les Haïtiens eux-mêmes ne s'en rendent compte. Les duvaliéristes, eux, patientaient en attendant la prescription alors que Haïti se donne rendez-vous avec le néant et l'humiliation. Haïti rendue à ce carrefour fatidique, les duvaliéristes y voient le moment d'un double retour: retour physique emblématisé par la présence de M. Duvalier sur le terrain et retour politique dans le cadre de la prochaine alternance démoligarchique. L'étape subséquente est prévisible. Il s'agira de la restauration du parti duvaliériste, question de transformer en acte politique toutes tentatives d'arrestation préventive ou autre de l'éventuel chef de parti que deviendra M. Duvalier. De naufrageur de la démocratie, ce dernier a toutes les chances d'en devenir l'un des futurs animateurs et une option crédible dans le cadre des prochaines joutes électorales. Il ne manquera alors que Jean Bertrand Aristide (JBA) pour reconstruire la dynamique politique de 1990.  

Par delà sa signification essentiellement politique, le retour de M. Duvalier est l'expression même du  paradoxe haïtien. Il est tout de même paradoxal que la réhabilitation constitutionnelle et politique de l'ex-dictateur risque de précéder l'enlèvement de l'embargo constitutionnel imposé depuis 1987 à la diaspora haïtienne qui, pourtant, supporte Haïti à hauteur de 2 milliards par année (jusqu'à 35% du PIB du pays par moments). Ce serait d'une bizarrerie humiliante pour «l'élite supposément démocratique», sinon, antiduvaliériste et postduvaliérienne» que ce soit le nouveau parti de Jean Claude Duvalier qui se charge de faire la promotion politique de la restauration des droits constitutionnels de la diaspora haïtienne. M. Duvalier lui-même est devenu un membre de cette diaspora par la force des choses.