Année après année, on décore des sapins de Noël, on prépare de somptueux réveillons, on emballe des tonnes de cadeaux et même on s'assure des places à la messe de minuit. Alors, je me demande si tous ces rituels ont encore un sens pour nous ou s'ils se réduisent maintenant à de vieilles habitudes qui ne cadrent plus vraiment avec le faible degré de pratique religieuse que les sondages attribuent aux Québécois. Enfin, pourquoi tenons-nous tant à fêter Noël?

Année après année, on décore des sapins de Noël, on prépare de somptueux réveillons, on emballe des tonnes de cadeaux et même on s'assure des places à la messe de minuit. Alors, je me demande si tous ces rituels ont encore un sens pour nous ou s'ils se réduisent maintenant à de vieilles habitudes qui ne cadrent plus vraiment avec le faible degré de pratique religieuse que les sondages attribuent aux Québécois. Enfin, pourquoi tenons-nous tant à fêter Noël?

Voilà bien notre paradoxe: nous pensons avoir tourné la page sur un passé dominé par la religion et, pourtant, nous ne pouvons nous résoudre à enterrer des célébrations qui semblent à jamais inscrites dans nos gènes. Comment pouvons-nous continuer à apprécier les «Venez, divin Messie!» et les «Minuit ! Chrétiens...» que les commerçants nous servent en boucle? Il faut bien se rendre à l'évidence que l'atmosphère de Noël rejoint un coin de notre âme collective qui a survécu à toutes les révolutions des 50 dernières années.

La réalité, selon moi, c'est que, malgré les apparences, nous attendons encore la venue d'un sauveur qui viendrait régler tous nos problèmes. Bien sûr, nous aimerions mieux croire que ce soit la médecine : elle parviendrait peut-être à guérir nos cancers et nos infarctus et même trouver le remède au vieillissement. Ou bien ce serait la science et ses merveilleuses découvertes qui nous procureraient enfin les énergies renouvelables nécessaires pour palier à l'épuisement du pétrole et stopper les changements climatiques. Mais qui échappe vraiment à la sourde inquiétude suscitée par l'avenir plutôt sombre de la planète? Qui ose encore espérer le salut pour la race humaine? Qui croit encore que la science va tout régler?

Pourtant, à Noël, il se produit une sorte de miracle: nous redevenons aussi naïfs que de petits enfants, qui croient que des cadeaux merveilleux vont leur tomber du ciel. Nous sommes envahis par une profonde nostalgie de ce paradis perdu et tout plein de souvenirs s'éveillent en nous. Nous nous surprenons à espérer de nouveau que nous ne sommes pas nés pour le malheur.

D'ailleurs, cette foi en l'avenir, ce n'est pas nous qui l'avons inventée. Tous les peuples l'ont éprouvée et exprimée à peu près de la même façon, c'est-à-dire par ces nombreux enfants divins qui ont vu le jour un peu partout, pour secourir l'humanité: Héraclès, Apollon, Hermès, Dionysos, chez les Grecs, Krishna et Nârâyana, en Inde, et, finalement, Jésus, chez les chrétiens.

Alors, je me dis qu'il n'est pas vrai que l'esprit des Fêtes a été complètement perverti par la fièvre de la consommation. Il n'est pas vrai non plus que l'on se fait beau et l'on se compose un air de réjouissance par pur conformisme. Non: il y a quelque chose de sacré dans ce besoin irrésistible de célébrer ensemble la victoire de la lumière et de la vie sur la déprime et le désespoir. C'est sans doute pourquoi chaque année, à l'approche de Noël, un vent d'espoir semble souffler même chez les plus sceptiques et les plus pessimistes. Le retour en force du soleil, jamais vaincu par les ténèbres de la nuit, semble ranimer la conviction que tout est encore possible. Nous retrouvons quelque chose comme l'énergie et l'optimisme de notre enfance.

Il ne faut pas oublier, non plus, que nous, Québécois, même si plusieurs d'entre nous ont tourné le dos à l'Église, nous n'avons pas pour autant renié toutes nos anciennes certitudes. L'existence a quelque chose de tragique: elle nous confronte parfois à des situations si difficiles ou si cruelles que nous ne pouvons faire autrement que de nous en remettre à une force supérieure, pour ne pas sombrer dans l'autodestruction.

D'une part, nous sommes habités par le sentiment que notre vie ne dépend que de nous et que nous sommes libres d'en faire ce que nous voulons. Pourtant, nous nous savons également soumis à un destin qui nous dépasse. La maladie, l'infortune et surtout la mort nous guettent toujours comme des ennemis implacables.

En fait, si nous devions nous résigner à l'idée que nous avons été jetés en ce monde par une force aveugle qui ne se soucie nullement de notre sort, il y aurait vraiment lieu de désespérer. Sommes-nous simplement le fruit d'un hasard qui, sans aucune raison, nous a fait apparaître dans un cosmos qui n'avait nul besoin de nous? Pouvons-nous vraiment imaginer que notre espèce, un peu comme celle des dinosaures, soit apparue sur une terre hostile pour finalement s'éteindre un jour sans laisser d'autres traces que des ossements?

Quant à moi, j'aime mieux penser que Noël est le symbole d'une conviction inébranlable et universelle, celle que notre existence a un sens et qu'elle surgit d'une source intarissable et infinie, l'Être absolu. En tant que philosophe, je contemple cet univers magnifique et ne peux m'empêcher d'y voir l'oeuvre d'une intelligence suprême qui a tout ordonné, créations et destructions, naissances et morts, plaisirs et souffrances, pour que, au bout du compte, nous arrivions tous un jour à être heureux éternellement.

Je comprends que la tristesse, le sentiment d'abandon et les blessures de la vie en accablent plusieurs en ces jours qui sont, pour d'autres, l'occasion de toutes sortes de réjouissances. Pourtant, je garde malgré tout,la certitude que Noël est la fête de l'espoir, pour tous et pas seulement pour ceux qui semblent choyés par le sort. La vie est le don le plus extraordinaire qu'on puisse imaginer et personne n'a  pu voir le jour pour être condamné au malheur perpétuel: ce serait trop contraire à nos intuitions les plus profondes et aux exigences mêmes de la raison.