On peut bien avoir le plus grand nombre de médecins au Canada, plus de 20 000, mais alors pourquoi trouve-t-on autant de gens qui n'ont aucun médecin de famille?

On peut bien avoir le plus grand nombre de médecins au Canada, plus de 20 000, mais alors pourquoi trouve-t-on autant de gens qui n'ont aucun médecin de famille?

Je peux bien essayer de vous en parler puisque je suis mariée avec Marcus Welby depuis 40 ans. Je me suis dit: il doit bien avoir une opinion sur le sujet.

Ce matin, vers 7h30, alors qu'il repassait sa chemise, je le lui ai posé la question. Il n'a même pas levé la tête de son ouvrage et m'a répondu: «Ils ne travaillent pas tous comme moi.»

Il se préparait pour aller à la journée de formation de l'hôpital Saint-Eustache, un vendredi, sa seule journée de congé après avoir travaillé 13 jours consécutifs.

Bien sûr que personne ne peut travailler comme lui. Les vieux docteurs (60 ans) n'ont pas connu la qualité de vie que les jeunes médecins exigent de nos jours. Dans le temps, la médecine était une vocation, c'est-à-dire que les prêtres, les enseignants, les médecins recevaient un appel, l'un de Dieu, l'un de l'Amour et l'autre de l'Abnégation. Et j'y crois. Nos enfants-rois des années 80 sont maintenant sur le marché du travail. Nous devons nous adapter.

Les médecins ont bien changé. La médecine a-t-elle évolué ou a-t-elle régressé ? Mon mari, lui, prétend que les sciences de la santé ont apporté beaucoup plus à la formation des jeunes médecins, mais que les jeunes médecins ne veulent plus travailler autant que leurs prédécesseurs. Eux aussi, ils sont victimes des maux modernes: un enfant autiste, un conjoint infidèle, les pièges de la vie courante. Alors, ils choisissent la qualité de vie. Ah, celle-là. Celle pour qui les jeunes médecins refusent de faire partie de comités dans les CHSLD, dans les hôpitaux, au sein des CRSSS; de faire des gardes de fins de semaine, d'aller visiter leurs malades à l'hôpital, de s'impliquer dans leurs associations professionnelles, de faire des visites à domicile, de faire du bureau, d'appeler chaque patient pour lui rendre compte de ses analyses sanguines. C'est ce que fait encore mon mari médecin. Je vous jure que ce n'est pas un dinosaure d'Hippocrate.

Notre société s'est enorgueillie d'ouvrir les portes des facultés aux filles qui avaient de meilleures notes. Un très grand nombre d'entre elles sont entrées en médecine. Une grande majorité de filles. Bravo ! Mais c'était sans compter qu'elles ont aussi un coeur de mère, et que leurs enfants passent avant tout. Peut-on juste dire qu'elles ne peuvent pas faire une pratique aussi intense que leurs collègues les ayant précédées?

Les mots ont changé. Les responsabilités ont changé. Les patients ont changé. Les médecins ont changé. Mais il faut bien trouver un coupable pour expliquer que le Québec a formé plus de médecins que dans le reste du Canada et que les citoyens ont du mal à en trouver un.

En tout cas, moi, j'ai sacrifié mon mari à des patients qui sont en outre très reconnaissants. J'en profite pour les remercier pour le vin, les chocolats et les pantoufles en Phentex. Pour les gentilles cartes de Noël dans lesquelles ils «nous» expriment leur reconnaissance. Mes enfants n'ont pas, comme ceux d'aujourd'hui, joué aux Lego avec leur père, mais ils ont appris l'abnégation, la sollicitude, le dévouement, et optent eux aussi, comme leurs contemporains, pour la qualité de vie.

Ça aura pris des victimes pour que nos jeunes médecins comprennent l'importance de soigner les autres tout en ne négligeant pas leur propre santé. Je rêve de recommencer ma vie avec un mari médecin de l'ère moderne. Il serait là pour mes accouchements, il serait là pour nos enfants, il serait présent la veille du Jour de l'An, et il pourrait déjeuner de temps en temps avec moi.

Je dis à ce ministre de la Santé : vous avez tout faux. Pour un vieux médecin, il faut en former trois jeunes si vous voulez que la population puisse avoir son médecin de famille. Vous avez oublié que les jeunes docteurs veulent eux aussi être heureux et qu'ils ne donneront plus leur santé pour sauver celle des autres.