«Nous ne prétendons pas non plus avoir le monopole de la lucidité, mais nous nions cependant à quiconque d'autre le monopole du coeur et des bons sentiments.» En ces termes, l'ancien ministre et ex-député du Parti québécois Joseph Facal exprime en quelque sorte l'un des plus grands défis auxquels la gauche québécoise contemporaine semble être confrontée.

«Nous ne prétendons pas non plus avoir le monopole de la lucidité, mais nous nions cependant à quiconque d'autre le monopole du coeur et des bons sentiments.» En ces termes, l'ancien ministre et ex-député du Parti québécois Joseph Facal exprime en quelque sorte l'un des plus grands défis auxquels la gauche québécoise contemporaine semble être confrontée.

De fait, confinée au simple rôle de critique intempestif, la gauche s'éloigne progressivement de la décision et de la solution politiques. Pire, elle ouvre la porte à l'expression et peut-être même à la montée d'une droite plus radicale, comme elle semble s'exprimer de plus en plus fortement.

La récente manifestation du Réseau-liberté Québec, l'élection d'un maire populiste à Toronto ou les positions parfois étonnantes du gouvernement conservateur au niveau fédéral témoignent de l'espace disponible sur les tribunes populaires. En fait, la question pourrait se poser en ces termes: après avoir largement exprimé vos angoisses, qu'avez-vous à proposer? Il semble que l'absence de réponse crédible constitue une véritable impasse en ce qui concerne l'avenir de la gauche au Québec.  

La peur de la dérive

Précisons d'emblée une chose: les peurs et les critiques exprimées par la gauche ne sont pas toujours dénuées de fondements. C'est vrai que les excès du libéralisme caractérisés par l'une des pires crises économiques que le monde est connu depuis 1929 viennent entretenir un certain doute à l'égard de la capacité de la droite à démontrer les bienfaits de l'économie de marché. C'est également vrai que certaines mesures politiques manifestement influencées par l'approche néolibérale se sont soldées par des échecs et que quelques autres tardent à donner de bons résultats. On peut à cet égard questionner l'efficacité des partenariats public-privé (les PPP), du changement de mandat de la Caisse de dépôt et placement ou des baisses d'impôts effectuées par le gouvernement Charest en 2004.

Admettons-le, la gauche n'a pas le monopole des «erreurs» de gestion. Mais une fois ces constats établis, une fois les grands principes moraux évoqués, notamment sur l'établissement d'une société plus juste et plus équitable, il faut reconnaître que le fardeau de la preuve se fait de plus en plus lourd sur les épaules de la gauche. Pour s'imposer, elle doit nécessairement dépasser le stade de la condamnation et démontrer de façon concrète le caractère applicable et bénéfique des solutions qu'elle propose.

Si la droite ne représente guère le parfait modèle de gestion de l'espace public, la gauche ne constitue pas un exemple irréprochable de vertu pour autant. «Démoniser» la droite, c'est alors brandir des épouvantails, lesquels ne font à l'évidence plus peur à personne.    

On comprend donc que les craintes fréquemment évoquées par la gauche concernent davantage les risques de dérives de la droite, c'est-à-dire le glissement du centre-droit vers une droite plus franche à plusieurs niveaux.

Du point de vue collectif, on semble préoccupé par les risques liés à l'augmentation des frais de gestion dans le domaine de la santé, de l'éducation ou de l'énergie. Les critiques estiment alors que la hausse des tarifs d'électricité et des frais de scolarité ou l'établissement d'un ticket modérateur dans les hôpitaux privilégient les mieux nantis au détriment des usagers à plus faibles revenus. Ce n'est donc pas uniquement la peur du libéralisme qui semble s'exprimer, mais surtout celle du libertarisme ou la notion d'individualisme poussée encore plus loin.

Dans cette perspective, la seule idée de revoir le fonctionnement de certaines politiques publiques engendre un état de panique au sein de plusieurs mouvements de gauche de la province. C'est cette réaction, cette perpétuelle fin de non-recevoir qui mine la crédibilité de la gauche au Québec. Au-delà des bonnes intentions, la gauche est dépourvue de toute raison et n'offre aucune solution. La phrase peut paraître percutante, mais je sais qu'elle exprime ce que plusieurs «ténors» de la droite québécoise, de Pierre Fortin à Alain Dubuc, ont à maintes reprises évoqué, parfois plus ou moins subtilement.   

Justement, on peut bien diriger un tollé de critiques envers ces penseurs et acteurs de la droite québécoise, mais ces derniers possèdent toutefois le mérite de proposer des solutions précises, réfléchies et largement documentées. Il existe un véritable consensus à droite sur les problèmes et les mesures à entreprendre pour s'y attaquer. Qui plus est, ce consensus semble substantiellement appuyé par l'opinion publique, laquelle se dit ouverte à l'émergence d'un nouveau parti politique de centre droit dans la province. Pendant que les instances de gauche plafonnent ou même dégringolent en termes d'appuis populaires, pensons à la stagnation de Québec solidaire dans les intentions de vote ou au faible soutien de la population à l'égard des revendications du front commun syndical, les idées dites de droite séduisent de plus en plus l'électorat.  

Solutions

Est-ce à dire que la gauche est condamnée à la marginalisation? Bien sûr que non, mais elle n'a d'autre choix que de s'éloigner de la critique et de l'interventionnisme systématiques. En ce sens, les pistes de solution se situent à bien des niveaux.

En premier lieu, un sérieux exercice de réflexion m'apparaît indispensable afin d'adapter le «modèle» à la réalité de notre époque. Cette étape exige une analyse en profondeur des éléments constitutifs de l'idéologie et du coup, une capacité d'abstraction et une ouverture d'esprit exceptionnelle.

En second lieu, la gauche doit identifier et mettre en valeur les grandes idées rassembleuses, celles qui permettront de proposer des initiatives originales, crédibles et attrayantes. Je sais que pour certains, il s'agit là d'une gauche édulcorée, dépouillée de son essence et d'une invitation supplémentaire à retrouver le centre. Je sais aussi que pour plusieurs, dont je suis, il s'agit surtout d'un profond désir de conserver une social-démocratie prospère, toujours soucieuse du bien commun et respectueuse des libertés individuelles.